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LA
RECIDIVE EN MATIERE D’INFRACTION ROUTIèRE Ou “une fatalité récidivante” Par le Docteur André-Henri LEGRAND Directeur Adjoint de l’Institut de Criminologie de Lille, Chargé de Cours aux Facultés de droit de Lille et de Sceaux. Extrait de sa thèse de doctorat en droit sur “l’imprudence routière”,
récompensée d’une mention spéciale par le jury du prix Robert Debré décerné
par le Haut Comité d’Information sur l’Alcoolisme. L’idée première devant une infraction hasardeuse, c’est bien que la récidive
doit en être exceptionnelle: il est donc capital de vérifier si en matière
de délinquance routière, on peut observer une récidive et, dans le cas
d’une réponse affirmative d’en préciser le taux. Le taux de récidive est le rapport du nombre des condamnés qui ont déja
attiré l’attention de la Justice par rapport à ceux qui n’ont pas
failli. Le taux de récidive exige pourtant un certain nombre d’interprétations
et de réserves. Si l’on s’accorde à reconnaître qu’un fort taux, en période de
criminalité normale, constituele signe d’une délinquance de masse, un
faible taux est en principe l’indice contraire, sous la réserve d’une
criminalité conjoncturelle: en effet l’apparition massive d’une certaine
forme de criminalité dilue automatiquement à son début les délinquants en
récidive, dans une masse devenue considérable: le vol de voiture est
l’exemple d’une manifestation de criminalité conjoncturelle. On doit tenir compte aussi de ce facteur que nous pensons viciateur de la
recherche en France, la fréquence des amnisties. Non que nous soyons un
partisan de la rancoeur éternelle et du dossier dont on ne réussit jamais à
se débarrasser, mais il faut se rendre à l’évidence qu’une bonne étude
des causes d’un phénomène dangereux exige qu’on dispose des éléments nécessaires. Nous avons été frappés, lors des interrogatoires des délinquants
routiers que nous avons réalisés à l’Institut de Médecine Légale de
Lille, de la fréquence des aveux spontanés de sujets qui ignorent qu’on ne
dispose plus des renseignements permettant de les confondre. Les études faites partout sur la récidive en matière routière sont
formelles: il existe bien une récidive “significative”. § 1. L’étude de M. Davidovitch, en France En France, nous pouvons utiliser les données
fournies dans le rapport Davidovitch qui nous indique que sur 3.603 homicides
involontaires, dont la quasi totalité concerne des infractions routières,
402 étaient des récidivistes et qu’en matière de blessures involontaires
sur 12.343 auteurs, 1527 soit 12,4% se trouvaient en récidive. L’analyse de la récidive de faits de type
antisocial tels: le délit de fuite, la conduite en état d’ivresse, le défaut d’équipement, la conduite sans permis “
Assurance, le refus d’obtempérer, confirme un taux moyen de récidive allant de 22 à 30%, c’est à dire
proche de ceux que l’on constate en matière de délinquance commune. C’est ainsi que l’on retrouve, sur la même année,
un taux de 24,1% en matière de coups volontaires correctionnels, 17,6% pour les coups volontaires contraventionnels, 36,6% pour le vol, 11,6%pour la fraude commerciale. M. DAVIDOVITCH , étudiant les 350 dossiers des infractions routières jugées
par les tribunaux d’Orléans (cor. et de police) constate que les récidivistes
sont au nombre de 100, c’est à dire qu’on observe un taux de 28,6%, modulé selon le type
des infractions :plus faible pour les auteurs d’homicide “involontaire”,
et c’est heureux, que pour les atteintes plus proprement administratives, où
le taux moyen voisine à 45% , un taux intermédiaire de 18 à 28% caractérisant
les délits de fuite, la conduite sous empire alcoolique. Les études étrangères sur cette notion de récidive
des infractions routières ont d’ailleurs été nombreuses. § 2. LES ETUDES ETRANGèRES DE LA RéCIDIVE EN MATIèRE DE CRIMINALITé ROUTIèRE il faut surtout citer les études de MIDDENDORF
(RFA) et de WILLET (G.B.) A - MIDDENDORF étudie en particulier la notion de récidive dans son
dernier ouvrage consacré à la criminalité routière. Il rappelle que Graf HOYOS disait qu’il existe,
sans aucun doute, des auteurs qui ont une propension à l’accident: ces
auteurs ont de nombreux accidents, leur vie durant et des accidents de toutes
sortes bien qu’il ne soit pas encore possible d’établir un profil exact
de ces sujets. Il existe, dans toute criminalité, une récidivité qui
atteint une proportion d’environ 40% de l’ensemble de la délinquance
observée qui apparaît comme une constante. En matière routière, on retrouve, selon les espèces,
des taux oscillant entre 15 et 30%, avec un maximum pour l’alcool où l’on
observe le taux minimum de 50%.ogie sociologique B- LES OBSERVATIONS DE WILLET Cette notion de récidivité apparaît plus
significative encore dans les recherches de Willet. Sur les 653 délinquants objet de sa recherche, l’auteur découvre que - 119 soit 18,2 % ont un casier judiciaire
- 62 soit 9,2 % sont connus de la Police il s’agit avant tout des conduites sans permis 51+3/ 69,
Des conduites dangereuses 31+ 19/285
Ou sous l’empire de l’alcool
23/ 104 on constate qu’en G.B. la conduite sans permis se présente comme une véritable
institution. La récidive routière représente 134 cas sur les
653 dont 59 récidives pour une infraction identique et 75 pour une infraction
semblable. Elle concerne surtout des conduites sans permis
(62), alcooliques (24), dangereuses (31) Cette proportion de récidivistes est encore
retrouvée à l’examen des 43 dossiers choisis à partir d’une méthodologique
sociologique: 10 des auteurs interrogés ont un dossier judiciaire, soit
23,2%. Middendorf et Willet, étudiant la notion de récidive
chez les délinquants routiers, découvrent cette deuxième notion
fondamentale: le récidiviste routier est souvent un délinquant de droit
commun associé. Il y a plus grave: des recherches diverses et en
particulier celles réalisées par M.Davidovitch, ont fait ressortir que parmi
les prévenus d’infractions routières, beaucoup avaient déjà commis des
infractions de droit commun: nous en arrivons donc à cette nouvelle
constatation qu’il existe un lien entre la délinquance routière et la délinquance
commune: beaucoup de récidivistes routiers sont aussi des délinquants de
droit commun.
LES RAPPORTS DE LA DéLINQUANCE ROUTIèRE ET DE LA DéLINQUANCE COMMUNE, ou
“une fatalité curieusement associée” M. Davidovitch, observant les casiers des 350 prévenus
des tribunaux d’Orléans, constate qu’ils ont souvent commis d’autres
infractions pénales et rejoint d’ailleurs les constatations faites en RFA
par M. Middendorf et en GB par M. Willet.
§1. LES OBSERVATIONS DE M. DAVIDOVITCH à propos de la criminalité complexe des délinquants
routiers Pour ceux qui demeurent persuadés de la fatalité
de l’infraction routière, l’analyse par M. DAVIDOVITCH des 350 dossiers
jugés par les tribunaux d’Orléans ne pouvait que causer une certaine
surprise : ne constatait-il pas que cette criminalité, résultat supposé du
pur hasard, non seulement comportait son lot de récidivistes, mais aussi
d’auteurs à qui l’on pouvait reprocher des délinquances communes :
devant ce facteur de récidivité complexe, force était donc de se poser la
triple interrogation : . La récidive est-elle simplement routière? .La récidive est-elle simplement commune ? . La récidive est-elle mixte ? L’analyse des casiers judiciaires faisait, en
effet, ressortir les notions suivantes: - 33 n’avaient que des récidives routières; - 42 des antécédents de délinquance commune; - 25 des condamnations à la fois pour des infractions routières et pour
des infractions communes. En totalisant les deux derniers chiffres 42+25 on
obtenait 67 cas sur les 100 récidivistes à qui l’on pouvait reprocher des
actes de délinquance commune. Confrontant les antécédents de vol et les délits
routiers, on arrivait à la conclusion que le dernier délit commis par le récidiviste
concernait un défaut de permis, un défaut d’assurance ou un défaut de
carte grise, d’où cette constatation que les voleurs ont tendance aussi à
rouler en situation irrégulière : il faut bien admettre que c’est le
contraire qui aurait surpris. En définitive, si la criminalité routière a ses
récidivistes spécialisés, les spécialistes de la récidive se
singularisent par une criminalité routière spéciale. L’observation de M. DAVIDOVITCH n’aurait
qu’un caractère d’information si elle ne pouvait être confirmée par
d’autres recherches. Ces recherches ont été réalisées surtout à
l’étranger: MM. MIDDENDORF, WILLET, pour l’Europe, Mac FARLAND et
d’autres pour les U.S.A ou le Canada, sont des criminologues qui ont bien étudié
cette relation et l’ont confirmée. §2. M. MIDDENDORF
Et le rapport entre la délinquance générale et la délinquance routière L’auteur faisant état de nombreuses études
allemandes, et en particulier de celles de Mayer, écrit qu’on retrouve,
dans bien des cas, chez un délinquant, les éléments d’un délit de droit
pénal ”Routier” et d’un délit
de droit pénal général. C’est le cas, plus particulièrement, de celui
qui roule sans permis, ou circule au volant d’une voiture volée et va
commettre plusieurs délits, soit routiers, soit relevant du droit pénal
commun, tel le viol ou le vol avec effraction. La criminologie classique, selon l’auteur, ne
s’est pas avisée de l’orientation nouvelle que prenait la criminalité,
grâce à l’expansion des automobiles. On a pu démontrer que sur 48.000 accidents constatés
dans une grande ville de RFA, 77 % d’entre eux relevaient de 10 % seulement
des délinquants, M. MIDDENDORF rappelant d’ailleurs une statistique américaine
faisant état, sur une période de 6 ans de la compromission dans 36,5% des
accidents de 3,9 % des
conducteurs responsables (1). L’étude statistique des relations entre la
criminalité générale et la criminalité routière a été poussée très
loin en RFA, au Danemark, aux USA et M. MIDDENDORF nous en rapporte
l’essentiel : En RFA, l’association de surveillance technique de ESSEN examine 629 titulaires du permis de conduire, nés de 1900 à 1935, dont les permis de conduire ont été obtenus de 1920 à 1935, et constate les faits résumés dans le tableau suivant : auteurs de délits antérieurs
Non
oui
total avec délits routiers 111
30
141 sans délits routiers 471
17
488 total
582
47
629 (1)Cette étude analysant le caractère de ces responsables, montrait avec
Mac Farland, qu’il s’agissait d’individus : . Au niveau intellectuel faible, . Au caractère typiquement juvénile, . Aux dispositions psychologiques faites d’agressivité, d’antisocialité,
de manque du sens des responsabilités sociales. On constate donc que, chez les auteurs sans antécédent,
les délits routiers s’élèvent à 111/582, soit 19 % tandis que chez les récidivistes
ou criminels d’association, cette proportion se monte 30/47, soit 63 %. La même Commission, examinant 103 individus
titulaires de leur permis deouis 1948 et ayant à leur casier judiciaire plus
de deux délits de d. commun, on constate que 83 % d’entre eux ont commis
aussi des infractions routières. Une sorte de contre-épreuve fut organisée,
portant sur un autre groupe expérimental de 488 personnes, n’ayant pas de
casier routier et l’on constate que 17 d’entre elles, soit 3% ont des antécédents
pénaux. Par contre, sur 141 titulaires de délits routiers,
30, soit 20 % étaient déjà des délinquants de droit commun, et, enfin que
sur 62 sujets auteurs de délits routiers en récidive, on constatait par
ailleurs, la présence de dans 38 % des cas d’un dossier de délinquance
commune. L’enquête de l’Institut confirmait que la
criminalité commune et le mauvais comportement routier ont tous deux leur
racine dans la personnalité même du délinquant. Preben WOLF découvre au Danemark que chez les
auteurs de délit de D.C.., on découvre 3 à 4 fois plus de délits routiers. KUHLING à Celle observe des jeunes délinquants et
constate qu’il n’existe pas de différence compartementale significatives
entre ceux qui commettent des attentats aux moeurs et ceux qui commettent des
infractions routières : il retrouve chez les uns et chez les autres un taux
comparable de récidivité: 53 et 57 % ( route).
Une étude suisse montre que sur 83 auteurs jugés
pour homicide “involontaire” à l’occasion de faits routiers, on ne
comptait que 45 primaires ( 54,2%). Aux USA, une enquête réalisée à Los Angeles sur
207 jeunes délinquants, établit qu’un individu a d’autant plus de chance
de devenir un délinquant de droit commun qu’il a déjà commis davantage de délits
routiers. Mac FARLAND concluait d’une étude du même ordre
qu’il y avait possibilité de prévoir avec un taux de probabilité de 85 %,
la criminalité routière d’auteurs examinés sur la seule base de leur casier
judiciaire, ce que confirmait d’ailleurs en RFA, à Horn (Hesse) et selon qui,
le simple comptage des condamnations antérieures donne, pour l’étude de la récidive,
un moyen prospectif aussi sûr qu’une analyse approfondie de la personnalité
du délinquant. En définitive, il semble bien qu’un homme
“conduise comme il vit” et c’est l’opinion exprimée par WILLET qui, lui
aussi, a retrouvé, parmi ses 653 auteurs d’infractions routières, une
proportion importante d’auteurs aux casiers judiciaires chargés par des délits
de droit commun.
§3 . LES RECHERCHES DE WILLETT Examinant 653 dossiers de délinquants routiers jugés
dans un district anglais proche de Londres, l’auteur avait constaté qu’une
partie importante d’entre eux était en récidive. Poussant son analyse, il constate qu’à leurs
infractions répétitives, ils ajoutent aussi une propension indéniable à la délinquance
commune : parmi les 54 délinquants (sur les 64 de l’étude) pour conduite sans
permis, ontrouve à leur actif 292 infractions diverses, la plupart consistant
d’ailleurs en atteinte aux biens (dont 62 vols de voitures). 43 des 285 auteurs de conduite dangereuse
additionnent 120 condamnations de droit commun, dont 83 sont des atteinte aux
biens, 8 des atteintes sexuelles, ce qui représente le taux le plus élevé des
infractions de ce type pour les divers lots de délinquants examinés (8/19. 11 délinquants condamnés pour délits de fuite
(sur les 116) ont à leur actif 27 condamnations de D.C. et 18 (sur les 71) qui
ont roulé sans assurance, ont commis 51 fractions communes dont 30 atteintes
aux biens, 5 délits sexuels, 4 vols de voitures et 12 diverses. WILLETT, dans son rapport au Conseil de l’Europe,
présente encore des observations identiques à propos de l’étude d’un
groupe de 96 “chauffards” qu’il avait comparés à des conducteurs sans
accident ni infractions routières dont on avait trouvé les noms dans les
dossiers d’assurances et d’admission au permis : les délinquants possédaient
un nombre significativement élevé d’antécédents pénaux aussi bien devant
les tribunaux pour enfants que ceux pour adultes. Les analyses de la statistique nous ont, dès
maintenant, prouvé que l’idée qu’on pouvait se faire communément de la
criminalité routière d’imprudence ne correspondait pas à la réalité,
d’où l’obligation d’aller plus avant dans l’approche, non plus de la délinquance,
mais du profil du délinquant routier lui même : s’il peut apparaître, à
certains points de vue, comme distinct des autres citoyens, il voisine à
d’autres égards, le délinquant tel qu’on l’entend communément.
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