LES FACTEURS DE LA CRIMINALITE

 

E.M. Fontaine - Juge d’Instruction près le Tribunal de Grande Instance de Paris

 

                Les criminologues se sont beaucoup préoccupés de connaître les facteurs de la criminalité. Il est certain que la mise en évidence de ces derniers permettrait d’entamer utilement la prévention du crime.

 

                Un cours de criminologie enseigné à Paris ces dernières années présente les diverses hypothèses faites depuis le dix neuvième siècle pour expliquer la délinquance.

Je ne résiste pas au plaisir de les énumérer :

 

La guerre, la révolution, la chaleur du temps, la longueur des jours (en corrélation avec les crimes contres les personnes), la froidure, la longueur des nuits (en corrélation avec les crimes contre les biens), les saisons, la latitude, le déterminisme par les forces naturelles, la folie, l’ivresse, l’hypnotisme, la vieillesse, la désorganisation et l’insuffisance des forces de Police, de Justice, le système capitaliste, le prix de pain, du seigle, le paupérisme, la richesse et l’abondance, l’urbanisation, la campagne, la densité de population, les dimensions de la ville, la nationalité, la race, le niveau de vie, la mobilité de la population, la consommation de bière, de cidre, le sexe, la condition féminine, l’émancipation des femmes, la désunion des foyers, l’hérédité, les chromosomes supplémentaires, le sevrage précoce, la maladie, la psychose, les névroses, les perversions, l’alcoolisme, la drogue, la débilité, la volonté d’affirmation sociales, la défiance, la tendance destructrice, la labilité émotive, les tendances masochistes, sadiques, le mauvais exemple, l’opposition au code moral, la dissociation des familles, la déficience éducative, la privation d’amour maternel, paternel, l’enfance «gâtée», l’hyperprotection de l’enfance, 67 traits personnels et 42 facteurs socioculturels (qu’il ne m’est pas possible d’énumérer) et leur association deux par deux, trois par trois, etc. Enfin une étude à 450 variables d’un coup serait en cours, fort heureusement avec l’aide d’un ordinateur. Enfin le dernier facteur -qui a rencontré le plus de succès - de M. le Professeur Léauté à Maître Robert Boyer, c’est l’emprisonnement. Il fallait y penser.

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                Y a-t-il une chance pour que ces études ( qui au demeurant ont été entreprises en vain depuis des décennies - aboutissent un jour ? J’ose répondre très nettement : Non, il n’y a aucune chance qu’elles aboutissent jamais à quoi que ce soit de sérieux.

 

1 - LE CRIME ET LE DELIT SONT DES CONSTRUCTIONS PARFAITEMENT ET PUREMENT ARBITRAIRES

 

                Ce n’est pas le fait brut, objectif qui est interdit à peine d’amende ou d’emprisonnement, c’est le fait commis d’une certaine manière, dans une certaine intention, en un certain temps. Donnons un exemple entre mille : le fait de tuer un humain d’un coup de fusil peut être un homicide involontaire, un duel loyal, un meurtre, un assassinat, il peut être parfaitement excusable, il peut valoir des félicitations à son auteur s’il a renvoyé à ses pères un ennemi en temps de guerre. Et il est bien souvent difficile de démêler les véritables intentions… De même, ce qui constitue le devoir conjugal peut en d’autres circonstances devenir attentat aux mœurs, non parce que la «victime» se plaint mais parce que le «délinquant» s’est trompé d’un jour en calculant l’âge de cette dernière, ou un outrage public à la pudeur si la porte s’est ouverte à l’insu des acteurs. Voilà à quoi tient, au moins théoriquement le crime ! Enfin, et nous en resterons là, l’avortement en France a été successivement puni comme un délit, puis comme un crime - et la dernière femme condamnée à mort et EXECUTEE - était une «faiseuse d’anges» (elle en avait 20 !), enfin comme délit jusqu’à notre dernière loi sur «l’interruption volontaire de la grossesse». En d’autres pays, l’avortement n’a jamais été condamné.

 

                Ce qui précède suffira, je pense, à rejeter sans autre considération toute cause naturelle (physique, chimique, génétique, géographique, historique…) des crimes et des délits. Une telle cause ne pourrait être que générale et constante, indépendante de toute notion d’intention, la Nature ne connaissant ni le bien ni le mal, n’ayant ni regrets, ni remords…

   

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2 - LA METHODE DES CRIMINOLOGUES N’A JAMAIS ETE SCIENTIFIQUE

 

                a) L’échantillonnage des délits et des crimes :

 

Il a toujours été notoirement suffisant :

·         d’une part, l’étude n’a porté que sur quelques infractions : assassinat, vol, vagabondage, ignorant tous les autres,

·         d’autre part les études ont paru ignorer que la définition légale par exemple du vol, ou de l’escroquerie recouvre cent manière de procéder qui n’ont rien de commun et frisent parfois de très près les pratiques commerciales courantes dont la jurisprudence à le plus grand mal à les démêler…

 

b) L’échantillonnage des délinquants :

 

                Lumbroso avait choisi un échantillonnage de brutes alors qu’il existe des meurtriers authentiquement aristocratiques, les époux Gluck avaient choisi un échantillon de jeunes délinquants de la «zone» de Boston, etc. mais personne ne s’est préoccupé de prélever un échantillon représentatif de toute la délinquance.

 

                c) Les facteurs de la criminalité étudiés étaient mal définissables et ne pouvaient être mesurés : qu’est-ce que le crime rural, que le manque d’affection, ou la déficience éducative… comment les mesurer ? Qu’y a-t-il de plus relatif que la misère et la richesse…

 

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3 - LA MUTATION PERMANENTE DE LA DELINQUANCE

 

                Il est impossible de rattacher la délinquance d’aujourd’hui à celle de la dernière décennie ; on sait les difficultés que rencontrent les économistes avec leurs indices : comment comparer les prix des éclairages à la torche , à l’huile, à la chandelle, au néon ? Crimes et délits ont encore évolué plus vite et dans une plus large mesure. La période de mutation que nous connaissons n’est pas la première. Il y en a eu d’autres plus rapides et plus profondes.

 

                Non seulement de nombreux crimes et délits sont morts en moins de 300 ans (lèse majesté, sacrilège, sorcellerie -les dernières centaines de sorcières pendues ou brûlées en France datent de la fin du 17ème adultère, avortement), où sont devenus sans application mais encore tout autant d’autres crimes et délits sont nés : duel, circulation, chèques, abandon de famille, grivèlerie, escroquerie des personnes faisant appel à l’épargne publique, délit d’information, fraude fiscale… C’est de 1950 que date la peine de mort pour les vols qualifiés avec arme apparente ou véhicule motorisé ! !

 

                Et les modes opératoires des délinquants ont totalement changé : syndicat du crime, filière de drogue, d’évasion fiscale…

 

                Enfin, comment ignorer que c’est l’attention des autorités tout à coup portée sur un secteur qui fait apparaître le crime latent ? Le nombre des poursuites pour fraude fiscale a été multiplié par cent en quelques mois… alors que le nombre des fraudeurs tendait à diminuer devant la menace. Parce que l’énergie est devenue rare, ce sont des dizaines de milliers de contrevenants qui sont interpellés pour excès de vitesse. Pourquoi y verrait-on une explosion de la délinquance ?

 

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4 - LA VERIFICATION EXPERIMENTALE DES HYPOTHESES

 

                Une réflexion aurait pu éviter bien des recherches inutiles : comment les criminologues ne se sont ils pars aperçus que ni la richesse, ni la misère ne pouvaient être la cause du crime puisque seule une infime minorité des riches et des pauvres commet crimes et délits ? Que beaucoup d’alcooliques vivent parfaitement honnêtes et que des gens sobres sont délinquants, que les crimes les plus sordides sont commis chez les plus distingués, les mieux nantis, comme aussi les plus misérables et dans les classes moyennes.

 

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5 - CONCLUSION

 

                Ce n’est que par un effort quotidien et au prix d’une attention de tous les instants qu’un individu parvient à s’obliger à observer les règles toujours arbitraires, contingentes, vernaculaires et de plus en plus complexes du bon comportement en société : bien parler, se tenir correctement, ne pas commettre d’infraction à la loi pénale ou aux usages.

 

                Il arrive à chacun d’y manquer de temps en temps, c’est la délinquance d’occasion qui s’étend à l’ensemble de la population et touche particulièrement sa partie la plus active et la plus indépendante.

 

                Quelques uns seulement n’arrivent pas à observer ces règles. Plus que des facteurs qui les pousseraient à commettre des infractions, il faut rechercher tout ce qui peut les conduire à ne pas prendre, garder et observer la résolution de respecter la règle du jeu de notre société. De tels motifs sont innombrables et insoupçonnables, bien souvent même inconscients.

 

                Par contre l’éducation, qu’elle soit morale, civique, laïque ou religieuse, la présence de bons parents, de bons maîtres, de bons officiers, le bon exemple donné du haut en bas de l’échelle sociale et la crainte d’une sanction certaine, rapide, fatale et irrévocable aident beaucoup l’individu à s’insérer dans le système de société ou il est appelé à vivre. L’erreur a été de chercher à connaître les facteurs de la criminalité alors qu’il fallait mettre en évidence les facteurs de respect de la loi.

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