L'APPLICATION DE LA LOI PENALE EN FRANCE

E.M.FONTAINE ( Novembre 2001)



Le système français confie la mission d'appliquer la loi pénale à un corps de magistrats constitués en tribunaux hiérarchisés. Ces magistrats sont en général nommés sur concours après une formation à l'Ecole de la Magistrature pour faire une carrière: ils débutent jeunes et ne cesseront leur activité que pour prendre une retraite bien gagnée. Ce système privilégie les connaissances sur le caractère. On suppose que la collégialité des tribunaux -souvent réduite aujourd'hui et chaque jour davantage- tempérera les excès individuels qui seront corrigés éventuellement par l'appel devant une juridiction supérieure composée de magistrats plus aguerris, voire la Cassation .

Ce système n'existe pas dans tous les pays. Au Royaume-Uni les magistrats sont choisis parmi les avocats au vu d'une belle réussite professionnelle sanctionnant ainsi -outre les connaissances- la puissance de travail, la rectitude, la modération, l'objectivité mises à l'épreuve pendant deux ou trois décennies. Mais ils sont peu nombreux et sont accompagnés par un corps important de retraités bénévoles en provenance de toutes les professions, et même sans profession, les mères de famille ayant élevé avec succès plusieurs enfants sont souvent privilégiées, sans qu'aucun rapport soit exigé avec le droit ou la justice: le Ministère public représenté à l'audience par un officier de Police leur indique, le cas échéant, les textes applicables et la jurisprudence établie: il est fait appel surtout à leur bon sens, à la fermeté de leur caractère et la matière qui leur est soumise est bien plus étendue que celle des juges d'instance en France. Il faut reconnaître que ces magistrats sont beaucoup plus près des sentiments de la majorité du Peuple qu'un petit groupe, fut-il une élite, ne quittant l'école et le toit familial que pour aller juger des gens qu'il ne connaît pas, n'a jamais fréquenté, sans aucune expérience de la vie. Le système britannique a fait la preuve de son efficacité et...ne coûte rien à la communauté!

Aux Etats Unis les magistrats sont élus pour le temps d'une législature parmi des juristes et lorsque la majorité qui les avait nommés est renversée, ils n'ont plus qu'à retourner, le plus souvent, aux cabinets d'avocats d'où ils venaient. De même les magistrats suisses sont-ils élus; cependant le "consensus" qui existe entre les partis politiques helvétiques leur permet le plus souvent de faire une belle carrière comme en France. Visitant en 1975 mes collègues juges d'instruction à Genève, je fus renversé par le fait qu'autour de chacun d'eux il y avait 2 ou 3 psychiatres et autant de "travailleurs sociaux".

La principale différence entre les systèmes anglo-saxons et européens ( ces derniers inspirés par le système français) se trouve dans l'institution du juge d'instruction et de deux conceptions tout à fait différentes: doit-on rechercher une vérité et une culpabilité idéales, je dirai utopiques ou se satisfera-t-on d'une approche pragmatique: dans le système français, dès que le plus léger soupçon pèse sur une personne, le juge d'instruction n'a plus le droit de l'entendre comme témoin; cette personne doit -dans son intérêt, pour pouvoir se défendre- être inculpée (ce que les non initiés ne comprennent pas) ou être entendue depuis la dernière réforme comme témoin-assisté: prévenu donc des charges qui pèsent sur lui, il parlera sans prêter serment. Le fait de reconnaître les faits ne lui vaudra légalement aucune indulgence et au contraire se retournera bien souvent contre lui !.

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Au contraire les anglo-saxons accepteront une compromission dans la recherche de la vérité: l'aveu sera récompensé par un allègement de la peine mais la personne poursuivie devra parler sous serment ou se taire. Dans le premier cas, s'il a menti, il risquera d'être puni pour parjure aussi sévèrement que s'il était reconnu coupable ! Ces différences sont fondamentales: il est impensable d'adopter un peu du système anglo-saxon pour réformer le nôtre . Si l'instruction d'une affaire n'est pas poursuivie par un juge, elle le sera par un policier ou un procureur. C'est un choix à faire. Je signale aux lecteurs qui viennent d'entrer sur le site de la SCE que tout ceci a été évoqué dans l'article sur "la durée des procédures". Ce qu'il faut retenir avant tout c'est qu'il n'existe pas de système ni d'hommes parfaits...

Chaque système parait avoir ses avantages et ses inconvénients mais surtout correspondre à la demande des gens qui les ont choisis et s'en satisfont. Le corps des Lois et le personnel chargé de l'appliquer font un tout qui doit être cohérent: si les lois sont insuffisantes, que pourront faire les magistrats? Inversement, si les lois ne sont pas appliquées, le résultat de l'oeuvre judiciaire ne sera pas satisfaisant. Il ne parait pas y avoir en France d'organisme chargé de surveiller la manière dont la loi suit l'évolution des moeurs ni celle dont la loi est appliquée et les dérives peuvent durer plusieurs décennies. Le Parlement, lorsqu'il prend conscience enfin qu'il y a une "fracture" avec l'opinion, modifie la loi ou en crée une nouvelle. Dans ces cas la lenteur comme la précipitation sont également haïssables. J'ai cité la loi de 1952: effrayé par quelques hold-up, le Parlement vota une loi punissant de mort leurs auteurs, même s'il n'y avait pas eu d'homicide! Elle ne fut pas appliquée une seule fois même quand il y avait eu mort d'homme ( elle aurait pu l'être pour le principe, le condamné étant ensuite gracié). En quelques années on put relever plus d'une dizaine de hold-up sanglants par jour... Longtemps un lien exista entre le Ministère de la Justice et les Parquets pour donner aux Procureurs des directives générales et parfois "particulières", il semble que ce temps soit révolu mais déjà certains le regrettent.

Il y a en France un réel malaise que l'on sentait venir depuis plusieurs décennies: l'augmentation de la délinquance qui fut longtemps contestée ne l'est plus et se traduit par un sentiment d'insécurité assez général pour devenir un argument politique majeur à la veille d'élections importantes. Dès la fin des années 60, j'avais été frappé de recevoir des procédures d'instruction qui concernaient de jeunes adultes ( les mineurs allant devant une juridiction spécialisée) dont les casiers judiciaires faisaient apparaître une douzaine de condamnations (chacune concernant plusieurs délits souvent graves tels que vols avec violences) mais qui ne s'étaient traduites par aucune sanction. A la même époque (années 70) je reçus des quadragénaires qui étaient passés deux fois devant une Cour d'Assises: quelques décennies plus tôt, ils auraient été "transportés" à Cayenne dès la première condamnation...et leurs carrières de délinquants se seraient arrêtées là.

Jean Claude Bonnal, dit "le Chinois" a défrayé la chronique récente d'une manière sanglante puisqu'il est suspecté d'avoir tué six personnes dont deux policiers alors qu'il avait été mis en liberté après deux ans de détention provisoire (il était présumé avoir participé au hold-up sanglant du bureau de change du Printemps). Tous les commentateurs s'indignèrent de cette mise en liberté... Qu'on me pardonne si une fois de plus je ne suis pas d'accord : ce qui me parait grave c'est qu'à quarante cinq ans il se soit trouvé libre ( pour le hold-up du Printemps) après trois condamnations aux assises ! Les dispositions relatives à la récidive avaient-elles été appliquées par la seconde et la troisième Cour d'Assises ? D'après ce qui a été publié, la seconde Cour d'Assises l'avait condamné (il y avait eu des blessés sinon des morts) à 12 ans de réclusion. Il bénéficia d'une liberté conditionnelle après 9 ans de détention. Quelles furent les mesures de surveillance ou d'assistance ? Cette liberté conditionnelle fut-elle révoquée avant la troisième comparution aux Assises ? Le code pénal permettait, semble-t-il, après la première condamnation pour crime de le maintenir en prison à raison de la seconde jusqu'à 60 ou 70 ans d'âge. Quant à la troisième !!!

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S'il était parti pour le bagne après la première affaire (je n'ai pas d'objection à ce que le bagne soit transformé en "Club Med" comme on l'a déjà fait pour une prison en Corse -réservée aux délinquants sexuels distingués), la seconde et la troisième affaire n'auraient pas eu lieu, n'auraient pas eu à être jugées, ni le "coup du Printemps", ni les six morts, à supposer que vraiment Jean Claude Bonnal y ait participé...Etait-ce trop cher payé pour éviter six morts? On se demande souvent pourquoi la Justice est surchargée et pourquoi la Police manque de moyens...Imaginez un hôpital où les maladies les plus graves seraient soignées par un cachet d'aspirine au cours d'une hospitalisation limitée à deux jours. Ils reviendraient !

Je pense sincèrement et sans aucun cynisme que la Société idéale serait celle où quelques magistrats iraient deux fois par semaine au tribunal pour constater qu'il n'y a rien à juger, où les policiers rentreraient à dix huit heures chez eux, leur table étant en ordre par ce que toutes les affaires de la journée ont été traitées. Dormez, bonnes gens, les malfaiteurs sont internés!

De même pour les médecins: des urgences désoeuvrées, des hôpitaux où l'on se réjouirait de l'arrivée d'un consultant qui a fait une indigestion... Qui s'en plaindrait ?

De nombreuses causes à l'accroissement exponentiel ( qui se développe d'abord de manière rampante puis de plus en plus vite,sans qu'on puisse alors l'arrêter, c'est le propre de tous les phénomènes vivants) de la délinquance ont été avancées lorsque celle-ci ne put plus être niée: séquelles de la guerre, évolution de la famille, de l'éducation, libération de toutes contraintes après 1968, immigration, urbanisation inhumaine des banlieues, télévision, puis chômage pour couronner le tout..

Après 1968, les premières institutions prises à partie furent la Police et la Justice. Georges Brassens avait d'ailleurs ouvert la voie...en chantant et je crois que cette inspiration compta beaucoup dans son succès. Bien mieux, des "études" tellement discutables dans leurs méthodes qu'elles n'avaient aucune valeur "établirent" que c'était la Justice qui créait les récidivistes et cette découverte, si extraordinaire à priori, fit florès parmi les milieux parisiens les plus intellectuels, les plus actifs et les plus bruyants pendant des années. Aucun ministre de la Justice ne crut opportun de remettre les pendules à l'heure. Ceux qui se font tuer aujourd'hui en luttant contre la délinquance pourraient leur faire bien des reproches car aucun de ces beaux esprits n'a demandé pardon ni même reconnu s'être trompé ! Mais le mal avait été fait ! La liste des esprits avancés qui présentèrent cette découverte comme "scientifique"sur toutes les ondes et tous les médias ferait bien rire aujourd'hui, si les conséquences n'étaient pas aussi dramatiques. Je ne vous la donnerai pas car ce serait trop cruel pour leur niveau intellectuel, celui de toute une "élite" et jetterait le doute sur tout ce qu'ils ont fait jusqu'ici et continuent à faire...Leur responsabilité est pourtant immense.

Dès 1973 j'avais pourtant établi que s'il y avait une augmentation indiscutable du nombre de délits et de crimes, il n'y avait pas d'augmentation du nombre de délinquants (en fonction du nombre de jeunes) comme cela fut souvent écrit mais seulement augmentation du nombre de délits et de crimes commis par chaque récidiviste. Je tiens à signaler que les statistiques que j'ai pu établir ne tiennent pas compte de l'origine nationale ou ethnique des personnes mises en cause or il est notoire que beaucoup d'immigrés qui ont fui les pays d'Afrique du Nord l'ont fait car ils avaient maille à partir avec la justice de leur pays et trouvaient les prisons françaises -si détestables qu'elles fussent- plus douces que les leurs, quand ils finissaient par y faire un petit tour ! Il y a donc là un facteur qui peut biaiser les résultats: on prendra pour des primaires des jeunes gens qui sont déjà des récidivistes. Ce biais, s'il existe est cependant trop faible pour modifier les résultats obtenus dont la tendance est indiscutable.

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On ne peut qu'admirer au moins pour sa cohérence et son efficacité , le système judiciaire français mis en place à la fin du 19 ° siècle :

- les délinquants primaires devaient recevoir du tribunal un avertissement paternel mais sévère et solennel ; ils devaient être condamnés à une peine dissuasive mais avec sursis, en général au moins un an d'emprisonnement (j'ai pu confirmer qu'aujourd'hui encore, une peine d'un an avec sursis est plus dissuasive que quelques mois "fermes"et que le sursis probatoire "deuxième chance" accordée à des récidivistes de ne pas aller en prison est un désastre). Si un primaire condamné avec sursis récidivait, il devrait d'abord accomplir la première peine prononcée et la nouvelle peine encourue était le double de celle qui avait été encourue au premier délit.

- Les récidivistes encouraient la relégation après quatre condamnations A SIX MOIS D'EMPRISONNEMENT ( pour des faits qui seraient aujourd'hui jugés comme des "bêtises")!. Ils étaient si peu nombreux que le pénitencier de l'île de Ré suffisait pour les recevoir tous ! (on croit rêver quand on examine aujourd'hui des casiers judiciaires comme j'en ai décrits qui comportent 15 ou 20 condamnations parfaitement inutiles, toujours ce problème de la surcharge judiciaire).

- Les criminels au sens général du terme et non pas seulement les auteurs de crimes de sang (qui , eux, risquaient la peine de mort), étaient écartés de la société par la déportation au bagne. Combien de condamnés furent-ils ainsi "transportés"? Si mes souvenirs -livresques- sont bons, ils furent 73 000, en cent ans, y compris des condamnés politiques, soit

en moyenne 730 par an ce qui nous paraît aujourd'hui absolument dérisoire! A noter que les surveillants eux mêmes étaient envoyés en Guyane par mesure disciplinaire ( cette disposition explique en partie le très mauvais fonctionnement de l'institution) et que le bourreau du bagne qui avait exécuté une cinquantaine de prisonniers fut lui même guillotiné pour meurtre!

Le prix social de la sécurité était donc très cher ( pour les délinquants) et surtout il fut encore aggravé par la mauvaise application des mesures arrêtées. Une fois de plus ceux qui avaient en charge la surveillance du bagne, comme aujourd'hui et depuis des décennies ceux qui sont payés pour surveiller l'état des prisons, avaient failli ! Une des faiblesses de l'organisation française est la carence totale et générale des organismes de contrôle. Qu'il s'agisse de la surveillance des grandes entreprises publiques comme le Crédit Lyonnais ou Elf, où tous les contrôleurs furent nuls sinon vénaux , des services sociaux sous les yeux de qui des enfants handicapés (de l'Yonne) ou non peuvent être prostitués voire tués, des libertés surveillées ou conditionnelles (Pesquet), qui ne servent qu'à donner une fausse sécurité au demeurant fort coûteuse. C'était inadmissible, mais était-il vraiment impossible de redresser la situation, de réformer le sort des bagnards? Si on s'était souvenu de l'exemple donné par Louvois, on aurait envoyé ces contrôleurs indignes au bagne, non pas comme surveillants mais comme bagnards... ( Louvois s'apercevant que les nobles officiers forestiers pillaient la forêt royale à leur profit en envoya cinquante aux galères et ce corps devint le plus honnête de France au point de refuser tout rajustement de salaire pendant cinquante ans).

Lorsque le scandale innommable de la gestion du bagne fut connu, en 1923, à la suite d'un reportage du journaliste Albert Londres, quelles mesures furent-elles prises? Quelle fut la réaction de l'Administration Pénitentiaire devant de telles révélations, se sentit-elle responsable ou coupable? le Parlement envoya-t-il seulement une mission d'information, y eut-il des débats, des promesses, des résolutions ?

J'ai l'honneur de recevoir presque chaque jour des e-mails d'étudiants me demandant des sujets de mémoires ou de thèses...en voilà un qui me parait intéressant et original surtout vu du temps où nous sommes ! "Comment et par qui la crise du bagne fut-elle gérée?". Il fallut seulement trente ans pour que la situation évoluât. On peut penser que le sujet avait perdu de son acuité car c'est seulement après la dernière guerre, en 1953 que le bagne fut officiellement supprimé, dans l'improvisation semble-t-il. Le bagne et les travaux forcés disparaissaient mais n'étaient remplacés par rien sinon par le nom donné à certaines prisons où l'emprisonnement devenait réclusion. Il apparut -semble-t-il- aux parlementaires comme aux fonctionnaires et aux politiciens que éventuellement quelques établissements nouveaux suffiraient à remplacer le bagne : la situation intérieure du point de vue de la sécurité était bonne; on crut qu'on pouvait donc sans risque, mettre à bas tout le système : suppression du bagne et de la relégation et bientôt l'habitude fut prise par les tribunaux de prononcer des peines systématiquement inférieures au minimum prévu par la loi ou, lorsque ce minimum n'était pas prévu par la loi, des peines si dérisoires qu'elles provoquaient l'indignation (par ex. 1 mois d'emprisonnement avec sursis et 1000 francs d'amende pour un homicide sur la route!); pour couronner le tout une série de textes avait organisé à partir de 1945 une véritable immunité pour les mineurs baptisés "enfants"pour la circonstance. On supprima encore les bataillons disciplinaires puis l'obligation de travailler pour les détenus.

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Au nom de quelle expérience ce changement de lois (tacite ou non) fut-il organisé ? Avec quelles précautions? Sous quel contrôle ? Il y a , c'est une bonne chose en soi, un observatoire des prisons. Pourquoi n'y a-t-il pas un observatoire des peines ou des tribunaux? Apparemment, les bons sentiments -au moins à l'égard des délinquants- suffisaient .

Le raisonnement de ceux qui soutenaient cette "politique" étaient si pauvres qu'ils en vinrent rapidement à dire "les courtes peines ne servent à rien, il faut supprimer la prison" ou encore "la peine de mort ne dissuade pas les criminels, il faut l'abolir", alors que la logique voulait au contraire que si les courtes peines ne servent à rien, il faut revenir aux longues peines, si la peine de mort ne dissuade pas , rien ne dissuadera les criminels, il faut donc l'appliquer plus souvent....A peine 20 ans après la suppression de la peine de mort, la campagne a d'ailleurs commencé pour que les longues peines de sûreté soient raccourcies !! Contrairement à ce que certains vont penser, je ne suis pas partisan d'une répression féroce (si des médailles en chocolat ou des images suffisaient à protéger les victimes, c'est à dire les plus pauvres, les plus faibles et surtout les femmes et les enfants, j'en serais ravi : la première chose que j'ai soulignée dans mes travaux était l'anomalie constatée maintes fois de la condamnation de délinquants primaires à de courtes peines fermes: c'était contraire à la Loi et à l'Expérience.

Alors pourquoi encombrer les prisons surchargées ? Quand on relève que le sursis pour les primaires a été institué en 1881 en soulevant des passions dont on n'a pas idée, on peut mesurer la rigidité des pensées et des habitudes. Notez bien, je vous prie que l'observation de cette disposition libérerait au moins 30% des places dans les prisons et que ceux qui ne récidiveraient pas dans les cinq ans seraient sauvés. Oui, je persiste et je signe, la première victime du délinquant c'est lui même et sa famille!

L'article 132-19 du Code Pénal précise bien "en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine" Je me souviens avoir vu "plusieurs" jugements dont la motivation "spéciale" n'était pas évidente et relevait plus de la clause de style insérée par une greffière attentive. Quant à l'application stricte de la loi sur la récidive, elle amènerait à prononcer des peines relativement longues et permettraient de faire bénéficier les récidivistes d'un enseignement qui souvent leur a manqué et de leur apprendre un métier, choses impossibles lors de courtes peines de quelques mois. Parfois je me plais à imaginer que mes travaux n'ont pas été aussi inutiles qu'il y parait: de 1975 à 1995 la moyenne des peines prononcées a légèrement augmenté et le nombre des détenus a diminué ! J'ai souvent soutenu que les longues peines videront les prisons.

J'ai aussi plaidé souvent pour une médicalisation des drogues (non pas une libéralisation sans précaution) . La situation actuelle est la suivante: malgré les efforts méritoires des Policiers et des Douaniers, vous n'avez qu'à sortir de chez vous pour en trouver, de la drogue. Elle fait la fortune des truands qui gèrent ce marché et entretient une armée de "dealers".

Les prisons sont pleines car le trafic de drogues provoque une criminalité "collatérale" importante. Or rares sont ceux qui usent des drogues s'ils n'en ont pas besoin alors qu'il leur faut voler ou se prostituer pour s'en procurer à prix d'or, en tout cas vivre une véritable galère. Cette médicalisation coûterait beaucoup moins cher que les soins dispensés aujourd'hui aux drogués atteints du sida ou l'entretien des dealers envoyés en prison: si les drogues étaient médicalisées leurs cours s'effondreraient et c'est autant d'argent sale qui ne risquerait pas de se blanchir etc. etc. Si les primaires et les délinquants liés à la drogue n'étaient plus incarcérés, c'est 50 à 75 % des places de prisons qui seraient inutiles. Le crime organisé est le plus ardent défenseur de la prohibition des drogues comme de l'abolition de la peine de mort et de la suppression des peines de sûreté.

Tous les jours des émissions de radio ou de télévision sont consacrées au sujet de l'insécurité, toujours aussi inutilement car les participants raisonnent sur des impressions, des sentiments, des convictions plus ou moins vagues ou des positions politiques choisies a priori et non sur les résultats d'analyses statistiques crédibles tels que ceux avancés pour l'instauration de la pratique du sursis au profit des délinquants primaires et de l'aggravation des peines pour les récidivistes en 1880. Il n'en sort donc rien.

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Pour vérifier cette hypothèse que c'était l'application trop partielle de la loi qui était à l'origine de l'accroissement de la délinquance, je décidai d'aller voir vraiment quelle était la situation dans les années qui suivirent immédiatement la guerre de 39-45 en analysant les affaires soumises au tribunal de grande instance de Paris...Surprise, il n'y avait rien ! Certes le tribunal correctionnel siégeait et examinait avec attention et sérieux des affaires dont la plupart seraient aujourd'hui classées sans suite. Cela relevait plutôt des gaietés de la correctionnelle: vol de linge étendu dans une cour, grivèlerie, clients d'hôtel ayant emporté des draps ou des serviettes pour monter leur ménage, vols de bicyclettes ou de voitures d'enfants, encore un peu de marché noir, fraude sur le lait mouillé à l'eau oxygénée ou imitations de pastis .

Heureuse époque! Pas de vols ni d'incendies d'autos, pas d'accidents de la route, pas d'alcoolémies au volant, pas de chèques sans provision, pas de hold up ni d'agressions à main armée ni de trafic de stupéfiants, pas de blanchiment d'argent. Les truands connaissaient la loi et se gardaient bien de porter une arme lorsqu'ils allaient voler... On commençait à poursuivre les prostituées qui - jetées hors des "maisons"où elles étaient au chaud et visitées chaque semaine par un médecin, en étaient réduites à racoler sur la voie publique et leurs souteneurs -souvent leurs maris! Ce n'était guère plus que "l'échangisme" d'aujourd'hui ! Et après une nuit de garde à vue et une raclée du mac pour leur donner du coeur à l'ouvrage, elles se hâtaient de mettre les bouchées doubles, si j'ose m'exprimer ainsi, pour rattraper le manque à gagner...La pédophilie et la prostitution des mineurs étaient inconnues des prétoires car pratiquées avec délicatesse dans les milieux les plus aisés. Sade, nous ne t'oublierons pas!

Poursuivant la critique des idées reçues, j'étudiai la situation des récidivistes d'avant guerre. La surprise fut de constater qu'ils ressemblaient comme des frères (par leur distribution statistique) aux récidivistes des années 70 et que les lois de 1880-1881 sur la détention des délinquants primaires et sur l'aggravation des peines en cas de récidive avaient été faites en application des lois que j'avais donc seulement retrouvées...! Ne minimisez pas, je vous prie, mes efforts, il fallait quand même le faire . Les travaux de la fin du XIX° qui menèrent à ces résultats ne furent apparemment jamais publiés ni enseignés. L'homme-délinquant n'avait pas changé, l'augmentation de la délinquance n'était pas un phénomène de société, en tout cas, pas celui que l'on croyait . Comment une telle pensée unique avait-elle pu se mettre en place et s'imposer sur de telles erreurs? Je crois que seul un psychanalyste pourra nous le dire. C'était l'époque "où Juliette avait encore son nez", de la culpabilisation diluée par certains pour échapper au châtiment en y entraînant tous les autres : "nous sommes tous des assassins, des voleurs, des violeurs etc." Ce qui était bien accepté par les gens ravis d'être interpellés "salut, les enfoirés"...

Comment avait-on pu inventer une délinquance "juvénile" supposée apparaître avec l'acné pubertaire et disparaître de même alors qu'il suffisait de consulter les archives pour découvrir qu'au dix neuvième siècle chaque année 9000 mineurs étaient conduits aux Gendarmes par leurs parents affolés qui déclaraient "je ne peux plus le maîtriser, occupez vous en ..." Apparemment un grand nombre de ces jeunes s'en sortaient puisqu'il n'y avait en France à l'époque et par an "que" 750 bagnards, quelques centaines de récidivistes, moins de 50 exécutions capitales par an et des prisons pour les "Julot-Casse-Croûte"...

Un essai intéressant avait été tenté: un bagne de mineurs avait été établi dans l'Ile de Cros, ce paradis des plaisanciers en Méditerranée, mais les jeunes détenus (encore une fois l'encadrement n'était pas digne de sa mission) n'apprécièrent pas et y mirent le feu, faisant périr bon nombre d'entre eux; il fut donc supprimé. Il est curieux de constater que dans les années 70, une autre tentative expérimentale fut conçue. Elle était osée, mais pourquoi pas ? Le Ministère de la Justice construisit un établissement pour jeunes délinquants dans la région parisienne, à Bondoufle, si ma mémoire est bonne, dont le règlement intérieur était celui de l'Abbaye de Thélème : "fais ce que veux". Je ne plaisante pas, ces jeunes gens n'avaient aucune obligation, pas même de venir dormir ! L'encadrement, cette fois, était à la hauteur. Les jeunes n'avaient ni excuse ni explication à donner pour sortir si par hasard ils étaient revenus. Allaient-ils accomplir quelque dévotion, leur curiosité les amenait-elle à visiter Paris by night ou à participer à quelque feu de la St Jean dans leurs banlieues d'origine? Nous n'en saurons rien. Y eut-il un jour une lueur moqueuse intolérable dans les yeux d'un animateur de cette pension hors norme? C'est un mystère, en tout cas, trop c'était trop et on se lasse même du Paradis. Ce régime carcéral si original leur parut insupportable et ils y mirent le feu, l'expérience était concluante...Si je me réjouis en tant que partisan de la méthode expérimentale qu'on arrive à un résultat quelqu'il soit, je me permettrai de faire un seul reproche, c'est que les conséquences de cet échec ne furent pas exactement tirées et qu'il fut plutôt passé sous silence.

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Cet état d'esprit n'a pas disparu: on vient de commémorer la suppression de la peine de mort en 1981: victoire dérisoire des abolitionnistes qui est en réalité celle de tous ceux qui comptent bien continuer à violer et tuer, à attaquer des fourgons de transports de fonds avec des armes de guerre, à torturer et assassiner de pauvres filles contraintes à se prostituer ou simplement des enfants, les 400 qui tuent (parait-il) chaque année leur épouse ou leur compagne à force de violences conjugales (les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies par l'art.222-7 du CP de 15 ans de réclusion criminelle, mais de 20 ans si les coups ont été portés par le conjoint ou le concubin de la victime et cette peine est assortie des dispositions sur la peine de sûreté incompressible!. Il y aurait en France une femme sur dix battue et une sur cinq en Espagne, mais 400 femmes tuées par an au Pays des Droits de l'Homme dans ces conditions; cela signifierait que chaque jour ouvrable deux arrêts de Cour d'Assises condamnent un salaud qui a tué sa femme ! Cela parait impossible, ou le nombre des victimes est exagéré, ou la loi n'est pas appliquée ! Qu'en est il vraiment ? Ces chiffres ne seraient-ils pas ceux de l'Afganistan dont on nous parle tant , mêlés par erreur avec le dossier des femmes battues par un journaliste inattentif ? ! Nous y reviendrons).

Je publierai prochainement une intéressante, interview de Madame Corléone qui remercie de tout coeur ceux qui ont tant oeuvré pour la suppression de la peine capitale et espère qu'ils obtiendront rapidement de nouveaux succès dans la lutte contre les longues peines.

Bien sûr, il était plus facile de supprimer le bagne que de le réformer, de laisser les prisons devenir des pourrissoirs plutôt que de les équiper de salles d'études et d'ateliers. Les détenus avaient jusque dans les années 70 l'obligation de travailler, pour payer les frais de leur procès, désintéresser, fut-ce symboliquement leurs victimes, et payer leur entretien ! Dans la logique du temps et bien discrètement cette obligation fut, elle aussi supprimée: imaginez ce que peut être la journée d'un détenu...allongé sur son lit, il gamberge et fait des projets pour le jour où il sortira...Attend des nouvelles des filles qui font le trottoir pour lui...Au moins ces feignasses ont-elles bien payé son avocat ?

Ce n'est pas la prison, n'importe quelle prison dans son principe qu'il faut supprimer, mais bien celle que nous connaissons aujourd'hui en France, sans possibilité de donner de l'instruction, civique notamment, d'apprendre un métier, de faire faire du sport aux détenus. Depuis longtemps j'ai proposé que pour les récidivistes non-dangereux pour les personnes, les prisons soient -au moins à titre expérimental pendant quelques années- remplacées par des chantiers en pleine nature et que les détenus soient occupés à nettoyer les forêts, les vallées encombrées qui provoquent des inondations, à construire des barrages de retenue des pluies en hauteur, à supprimer les passages à niveau dangereux, à restaurer les villages de l'Ouest et du Sud de la France qui s'effondrent, (ce qui permettrait d'offrir logement et jardin à ceux qui voudraient quitter les banlieues , créant ainsi de la vie et de l'économie ) etc. Les détenus seraient normalement rétribués pour 35 heures de réel travail mais ils devraient en retour payer leur entretien, désintéresser leurs victimes, recevoir des cours pendant leur temps libre et faire du sport... S'ils refusent, il sera toujours temps de les incarcérer dans des prisons enfin modèles. Un plan pour l'amélioration des prisons a d'ailleurs été préparé par le Ministère depuis l'année dernière. Nous n'avons aucun détail. Si vous en avez, car des promesses ont été faites, prévenez-nous, merci. En tout cas, nous avons pris date.

J'ai écrit plus haut que depuis que l'accroissement de l'insécurité ne fait plus de doute, chaque jour nous amène un nouveau débat à la radio comme à la télé. Ce qui est grave c'est que les distingués orateurs n'imaginent même pas combien il serait facile de savoir si le nombre des délinquants augmente ou si ces derniers sont plus actifs, s'il faut plus de Policiers pour les arrêter ou de Juges pour les punir, si la Loi est appliquée ou s'il faut la changer. L'échelle des peines est-elle suffisante ou non, l'ordonnance de 1945 sur les mineurs est-elle justifiée? Les établissements d'accueil des mineurs délinquants sont-ils en état de tous les recevoir etc.? Pourquoi une telle recherche n'est-elle pas faite chaque année ? Si j'ai pu conduire mes travaux c'est que j'avais un poste d'observation privilégié (mais je n'étais pas le seul!). Le seul organisme qui pourrait les poursuivre c'est le Ministère de la Justice puisque lui seul a accès au travail des tribunaux et des cours . Je vais même plus loin: il serait normal que chaque année lors de la rentrée solennelle, chaque juridiction examine le travail accompli au cours de l'année judiciaire écoulée. Nombre des affaires jugées, distribution des peines prononcées, comparaison avec les résultats de années précédentes; le Ministère n'aurait plus qu'à en faire la synthèse en relevant au passage les distorsions d'une juridiction à l'autre, d'une cour d'appel à l'autre etc. Le site internet du Ministère de la Justice a tout de suite été placé parmi les favoris de la SCE pour en permettre une consultation facile par nos lecteurs. Je regrette que le point de vue que je soutiens ne soit pas encore celui du Ministère. Les décisions de Justice sont l'essentiel de l'activité du Ministère. La justice est déléguée aux magistrats pour qu'ils la rendent conformément au voeu des Français: elle ne leur appartient pas. Je reviendrai prochainement sur la difficulté d'interpréter les lois: la jurisprudence des Cours d'appel est-elle suffisamment homogène pour s'imposer aux tribunaux de première instance.

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Les élus de la Nation, ceux là mêmes qui font les lois ne devraient-ils pas s'inquiéter de ce qu'elles deviennent? Les peines prévues sont-elles suffisantes ou sont-elles devenues trop sévères? Sont-elles bien appliquées ? Comment ont-ils pu laisser se développer le massacre routier que nous connaissons depuis cinquante ans -car l'insécurité commence là ! Car enfin, dans la lutte contre le génocide routier, on s'est occupé de l'état du réseau, des signaux, de la vitesse, de l'état des voitures, mais bien peu du code et de la manière dont il était appliqué! Pourtant le maximum de la peine pour homicide involontaire a été porté en Juillet 2000 à 3 ans d'emprisonnement au lieu de 2 et 300.000 f d'amende, Nous nous proposons d'aller voir prochainement comment la jurisprudence a évolué.

Que dire de la Commission de Bruxelles si féconde en directives sur le fromage cru, la taille standard des pantalons et quelques autres sujets vitaux qui parait muette sur les accidents de la route...

Le bon Peuple de France a tellement pris l'habitude de ce qui se passe qu'il ne s'en étonne même plus, même quand il en est la victime directe. Réclame-t-il la justice fiscale, la lutte contre la corruption, le droit de referendum pour pouvoir enfin se faire entendre ? Même pas, il se satisfait en applaudissant les Guignols de l'Info ... Il faudra bien qu'il se réveille un jour!



Je ne peux terminer cet article sans témoigner encore une fois mon infinie reconnaissance à l'égard de Madame Suzanne Rozès, Présidente du TGI de Paris qui m'autorisa à exposer mes travaux devant l'assemblée générale de ce tribunal. Je ne lui avais pas caché que mes résultats n'étaient pas dans "l'air du temps", notamment au Ministère. Sa personnalité et son autorité étaient telles qu'après en avoir pris connaissance elle m'encouragea à continuer et me félicita. Je pus ainsi terminer mon exposé (voir ci dessous dans la Rubrique "récidive", la théorie générale de la délinquance, de la récidive et des peines) par les mots:

J'en aurai terminé, Madame, quand je vous aurai dit que comme Pygmalion, le statisticien voir son oeuvre lui échapper. J'ai voulu savoir si la prison pourrissait les détenus, j'ai découvert qu'au contraire c'est une application très partielle de la Loi qui permet l'explosion de la délinquance que nous connaissons...

C'était le 9 novembre 1976, il y a 25 ans, jour pour jour !

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