L’établissement d’un pronostic de récidive
Par E.M. FONTAINE
Nous avons souvent critiqué les criminologues pour qui il faudrait d’abord rechercher au fond de l’âme ou de la personnalité des délinquants les causes de leur déviation, ceux qui voudraient changer la Société, avant de s’occuper du crime, ceux qui n’ont jamais vérifié expérimentalement leurs théories ou leurs hypothèses.
C’est pourquoi dès que nous avons fondé la S.C.M., un de nos premiers desseins fut de tenter de rationaliser le jugement pénal, d’en réduire la subjectivité, de quantifier les éléments qui conduisent à choisir une peine. La sanction morale du délit est dans la déclaration de culpabilité. Mais la peine ne se justifie que si elle est efficace en dissuadant le condamné de recommencer, les autres de l’imiter.
Et si elle est plus lourde qu’il n’est nécessaire, elle devient injuste pour le condamné. Si elle est insuffisante, elle l’est doublement car le délinquant à droit à toute l’aide nécessaire, les victimes à venir ont droit à tout ce qui peut assurer leur protection et pourraient invoquer la non assistance à personne en danger si les tribunaux, sachant ce qu’il faut faire, ne le faisaient pas !
A une «pesée» globale par le tribunal, nous proposons de substituer une série de mesures dont la théorie montre que les erreurs doivent se compenser pour une large partie. A ceux qui craindraient une arithmétisation de la justice nous dirons seulement que la parcellisation que nous recommandons éviterait les erreurs grossières toujours possibles.
C’est à partir de l’analyse de plusieurs milliers de cas de délinquants (et non par un raisonnement à priori) que nous avons essayé de pondérer un certain nombre de facteurs du comportement délictueux.
Nous avons distingué :
- Les faits répréhensibles eux-mêmes.
Ils précisent mieux que n’importe quoi les traits du délinquant.
- Le comportement avant les faits et tout de suite après. Il fait apparaître l’endurcissement du délinquant, sa volonté de persévérer dans le délit ou au contraire son remords, ses regrets, sa volonté de réparer.
- La structure familiale du délinquant.
C’est elle qui l’aidera à remonter le courant, à lutter pour reprendre sa place dans la société, qui l’aidera matériellement et moralement.
A partir de cette analyse, il nous paru possible d’établir un pronostic de récidive. Il est évident que la peine sera alors modulable en fonction du pronostic. Le pronostic que nous établissons a une valeur statistique. Tous les jours, des malades meurent ou guérissent contre la Faculté. Les statistiques de traitement des maladies et de guérison des malades n’en sont pas moins infiniment utiles.
Il va de soi que la peine à prononcer a été déterminée en fonction de nos travaux sur la récidive et qu’elle est inséparable du pronostic.
Ce que nous avons étudié dans les cas venus à notre connaissance, c’est d’une part le comportement d’un délinquant, d’autre part son évolution en fonction de la peine prononcée.
Nous devons prévoir que :
1°) La pondération que nous avons arrêtée pourra être modifiée, à tout le moins affinée par les expériences que feront tous nos amis qui assistent les délinquants, policiers, avocats, juges, enquêteurs de personnalité, comités de probation, etc.
2°) Si les délinquants éventuels venaient à savoir (et ils le feraient rapidement si tel était le cas) que le Code Pénal sera appliqué d’une manière telle que le cambrioleur de profession ne puisse se dissimuler derrière le voleur d’occasion dans une grande surface, ils ne tarderaient pas à modifier leur comportement et notre pronostic devrait en tenir compte. Une fois de plus, notre méthode expérimentale nous rapproche de la médecine : on sait que les maladies évoluent comme leurs causes et que les traitements doivent suivre pour demeurer efficaces.
1) Les faits eux-mêmes
Points défavorables Points favorables
10 Nature
111 – fait unique 5
112 – fait multiple 20
113 – fait instantané 5
114 – fait continu 20
(113 et 114 s’ajoutent soit à 111 à 112)
20 Commission
120 – solitaire 5
121 – à deux 10
122 – à plus de deux 20
123 – avec préparation 40
124 – avec moyens matériels 60
(123-124 s’ajoutent éventuellement à 120, 121, 122)
30 Attitude à l’égard des victimes
131 – furtive 10
132 – intelligente 20
133 – audacieuse 30
134 – agressive 40
135 – violente 80
136 – odieuse ou barbare 100
2) Le comportement antérieur
et postérieur aux faits
10 Avant les faits
211 – déjà connu des Services de Police 10
212 – déjà présenté à un juge d’instruction 20
213 – déjà condamné avec sursis 30
214 – déjà condamné ferme (autant de fois 50 que
de condamnations) 50
20 Après les faits
221 – a spontanément réparé le préjudice 50
222 – s’est présenté spontanément aux Services de
Police pour tout dénoncer 40
223 – a avoué dès son interpellation 30
224 – ne fait pas connaître son domicile 20
225 – nie contre l’évidence 50
3) La structure personnelle
10 L’âge
311 – moins de 21,5 ans 40
312 – moins de 28,5 ans 20
313 – moins de 35,5 ans 10
314 – moins de 42,5 ans 5
315 – au-delà 0
20 La famille
321 – vit chez ses père et mère légitime 20
322 – contribue à son entretien dans la mesure
de ses moyens (s’ajoute éventuellement à 321) 20
323 – vit chez sa mère seule (exclusif de 321 -
compatible avec 322) 5
324 – vit chez père ou mère en présence beau-père
ou concubin 5
325 – a déjà fait des fugues ou se trouve en fugue 10
326 – est rejeté par sa famille 20
30 Son foyer (exclusif de 320)
331 – vit avec son épouse 20
332 – vit avec ses enfants dont il assure
régulièrement l’entretien 40
333 – vit seul séparé de son épouse 5
334 – vit en concubinage alors que marié 10
335 – a abandonné ses enfants 20
336 – est propriétaire ou locataire de son logement 20
337 – est à jour dans le paiement de son logement
ou de son loyer 20
40 Le travail
341 – régulier depuis au moins un an ou chômeur inscrit 20
342 – régulier depuis 5 ans/même dans places différentes
ou chômeur depuis (exclusif de 341) 40
343 – travaille en intérim (au moins 12 missions ou 6 mois
de travail en 1 an (s’ajoute éventuellement à 341 mais
non à 342) 20
344 – n’a pas travaillé au moins 6 mois au total à 20 ans
(sauf études ou maladies constatées) 20
345 – n’a pas travaillé au moins 2 ans au total à 25 ans
(sauf études ou maladies constatées) exclusif de 344 40
350 Les études
351 – a obtenu CEP ou BEP ou Bac 15
352 – a fait un apprentissage ou une FPA complète
(s’ajoute éventuellement à 351) 40
353 – a suivi un cours complet du soir (s’ajoute
éventuellement à 351, 352) 25
360 L’armée (si est en âge d’avoir fait son service)
361 – a fait son service militaires sans incident majeur 15
362 – a été réformé 0
363 – a été insoumis 10
364 – a été déserteur 20
370 Les sports
371 – pratique à l’occasion 10
372 – licencié d’une ou plusieurs fédération 25
380 Activité désintéressé
381 – don régulier du sang 10
382 – participe à association en faveur handicapés,
pauvres, vieillards etc... 30
Nous avons reconstitué le destin d’un grand nombre de délinquants en fonction de la quantification que nous avons présentée et de la peine qui leur avait été infligée. Une expérimentation «in vivo» reste cependant nécessaire. Soulignons que si elle était tenté, elle devrait l’être à l’insu des délinquants qui en feraient l’objet.
Résultat
chiffré de l’analyse
(total des points défavorables
diminué du total des points favorables)
Jusqu’à 50
Jusqu’à 75
Jusqu’à 100
Jusqu’à 150
Jusqu’à 200
Au-delà
BON
(préjudice est réparé ou le sera, pas de récidive à craindre)
D’ESPOIR
(le préjudice devra être réparé. Cas le plus général chez les primaires pour des faits déjà
relativement graves).
RESERVE
Il s’agit de faits graves souvent multiples par des individus désocialisés.
SOMBRE
Il s’agit de faits graves commis par des réitérateurs ou récidivistes.
TRES SOMBRE
(Récidivistes)
INCORRIGIBLE
(Multirécidiviste)
Peine nécessaire et suffisante pour éviter la récidive
Amende ou sursis simple de principe
Minimum de la peine d’emprisonnement avec sursis et amende lorsque prévue par C.P.
Peine comprise entre le minimum et le maximum de la peine prévue mais mitigée.
Peine comprise entre le minimum et le maximum C.P. ferme.
Peine voisine du maximum du C.P.
Révocation de tous sursis encore en cours
Peines aggravées de la récidive, tutelle pénale si possible.
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