UNE
THEORIE GENERALE
DE
LA DELINQUANCE, DE LA RECIDIVE ET DES PEINES
Extrait dun exposé fait devant lAssemblée Plénière du Tribunal de Grande Instance de Paris
par Mr. E.M. Fontaine, juge dinstruction, le 09 novembre 1976.
Lauteur remercie dabord Madame Rosen, Présidente du Tribunal, de lui avoir donné la parole puis dans une première partie de son exposé, il semploie à démontrer que les critiques de la prison présentée comme un pourrissoir ou une institution criminogène sont fondées sur des travaux sans signification scientifique,
· parce que les échantillons qui ont été analysés par les auteurs de ces travaux nétaient nullement représentatifs de la délinquance,
· parce que les concepts mis en uvre, tels le «retour en prison dans les dix ans» étaient flous,
· parce que le raisonnement conduisant à la critique de lemprisonnement était conduit sans rigueur : il paraissait ignorer par exemple que la récidive est jusquà dix fois plus fréquente chez les délinquants qui ont bénéficié dun sursis que chez ceux qui ont purgé leur peine.
Le rapporteur en vient ensuite à ses propres travaux.
II. - LA
THEORIE GENERALE DE LA DELINQUANCE, DE LA RECIDIVE ET DES PEINES
Cest après que, au début de lannée, Monsieur le Procureur de la République mait reçu et encouragé, que lai décidé de reprendre ce travail dont le résultat avait été jusque là, il faut bien le constater, nul.
Il ne pouvait pas être question bien entendu, de se limiter encore à savoir si la prison pourrissait ou non. En réalité, il fallait repartir de zéro pour faire une étude fondamentale. Jai donc entreprise une étude raisonnée du problème de la récidive à lintérieur de celui de la délinquance après avoir constaté que les criminologues avaient sans doute été égarés en se bornant à des vues partielles de la délinquance : détenue, mineurs, violents, enfants de milieu dissocié, etc.
Jai été si satisfait du résultat de ce travail que le lai intitulé «Théorie générale de la délinquance, de la récidive et des peines» et que je vous prie, Madame le Président, de me faire lhonneur daccepter quil vous soit dédié.
Je nai pu mener à bien ce travail en moins de trois mois que grâce à laide enthousiaste et à la réflexion que mont apportées Monsieur Charnay que vous connaissez tous bien, Madame Parvilliers que vous connaîtrez et Madame Chraiet, Magistrat tunisien qui était en stage à mon cabinet au moment où je me suis intéressé à la criminologie.
Quils en soient tous remerciés.
A/ LA METHODE
Descartes ayant déjà découvert et posé les principes de la recherche scientifique, je me suis borné à inventorier, à dénombrer, à ordonner, à comparer. Jai voulu partir dun échantillon absolument indiscutable de la délinquance. Le rythme des audiences étant au plus hebdomadaire à Paris, jai décidé danalyser une semaine entière du travail de toutes les chambres du tribunal correctionnel. Pour être sûr davoir le recul suffisant (jugement définitif et inscription au casier de nouveaux faits commis 5 ans après la fin de la peine ordonnée éventuellement en appel sur la décision que jallais analyser) jai choisi lannée 1965.
Parmi les semaines entièrement travaillées de 1965, le sort a désigné celle du 22 au 28 novembre 1965.
Après avoir écarté les jugements par défaut, nous avons analysé tous les autres et nous nous sommes trouvés en présence de 1 001 personnes, soit environ la trois centième partie de luvre judiciaire pénal annuel de la France à lépoque.
Il faut bien noter que cette semaine judiciaire était la représentation exacte dune semaine de délinquance connue. Effectivement, les personnes condamnées lont été pour des crimes correctionnalisés (vols qualifiés, viols, agressions) des délits simples (cambriolages, proxénétisme, homicides et blessures involontaires, coups et blessures volontaires, fraudes, escroqueries, abus de confiance, fraude fiscale) etc.
Le résultat de cette activité sest traduit par 358 condamnations à une amende simple, 643 condamnations à une peine demprisonnement assortis ou non dune amende ou du sursis.
Tous les cas non significatifs - personnes décédées, expulsées, didentité incertaine - ont été à leur tour écartés et les autres ont été analysés du point de vue de la nationalité, du sexe, de lâge, de létat de primaire ou de récidiviste, des peines en première instance et en appel, des peines déjà encourues ou qui le furent postérieurement, de lâge aux premiers faits, de la durée de létat de délinquant, de lexécution de la peine, au total 20 variables ce qui nous a donné 20 000 fiches environ établies de telle manière quen peu de temps nous pouvions connaître nimporte quel sous-ensemble. Ce nétait quand même pas un fichier électronique.
Aujourdhui, bien entendu nous ne parlerons que de la récidive mais pour y arriver il faut partir de la délinquance primaire. Cest par là que lai commencé en établissant un premier tableau. Il représente tous les cas de délinquance primaire. Je dis sans sourire que layant terminé, je lai trouvé aussi émouvant que la première photo reçue de la face cachée de la Lune ou de Mars. Cest à ma connaissance la première représentation complète que nous ayons de la délinquance primaire à létat pur, je dirais cristallin.
Ce graphique est déjà passablement ordonné puisque vous trouvez au Nord tous ceux qui nont pas récidivé dans les termes du Code Pénal, au Sud, ceux qui ont récidivé. A lEst ceux qui ont été condamnés avec sursis, à lOuest ceux qui ont purgé leur peine. En outre, le tableau représente chaque cas par deux coordonnées cartésiennes : en abscisse la durée de la peine prononcé, en ordonné lâge au moment de la condamnation. Nous navons plus quà puiser dans ce graphique pour en établir dautres plus fins, la difficulté étant donc divisée et réduite chaque fois.
B/ LES DELINQUANTS PRIMAIRES QUI NONT PAS RECIDIVE OU «DELINQUANTS DOCCASION»
Le graphique n° 1 représente la distribution par âge des délinquants primaires qui nont pas récidivé.
Il est facile de constater et de vérifier que cette courbe est la représentation dune distribution aléatoire obéissant à la loi de Laplace.
La surprise est extraordinaire de constater que cette courbe est parfaitement symétrique et ne présente aucune «bosse» ou déformation de son tracé parfait en cloche. Cela signifie sans aucune ambiguïté ni doute possible que la délinquance doccasion est effectivement un événement aléatoire. Cela est surprenant car cest le contraire de tout ce qui a été dit en la matière. Il est évident quil ny a donc pas de délinquance primaire spécialement juvénile ou sénile. Cette délinquance est distribuée comme les erreurs dune machine automatique, comme la taille dune espèce végétale pure, etc. Son maximum est à 30 ans ce qui signifie quen1965, en France, cest lindividu de 30 ans qui a le plus doccasions denfreindre la loi. Il nest plus sous la tutelle de ses parents ou de lArmée, il nest pas encore sous celle de sa femme ou de sa belle-mère, il nest pas encore entièrement pris dans le système mis en place, mais il ne fait pas de doute quen dautres lieux ou en dautres temps le maximum soit placé ailleurs. Notez bien ce qui est important, la courbe à 18 ans passe par un point symétrique de celui où elle passe à 43 ans, et ne part pas de zéro comme on aurait pu limaginer à priori. Cela marque bien que du bambin dans son «youpa-la» au vieillard dans son fauteuil, linfraction à la loi est partout et cest arbitrairement que la loi et les tribunaux ne sanctionnent de prison quà compter en général de 18 ans et guère plus après 75 ou 80 ans.
Ceci me permet de donner une première loi à la criminologie : en désignant par délinquant doccasion celui qui après une première condamnation ne commet pas de récidive au sens du Code Pénal : «EN FONCTION DE LAGE, LA DELINQUANCE DOCCASION EST DISTRIBUEE NORMALEMENT». En 1965, en France, cette fonction était définie par une moyenne de 30,5 ans et un écart type de 14 ans. En corollaire : «IL NA PAS DE DELINQUANCE DOCCASION SPECIFIQUEMENT JUVENILES».
C/ LES RECIDIVISTES
1) Les primaires de 1965 devenus récidivistes
Nous constatons que la récidive a été globalement :
chez les condamnés avec sursis 20 sur 276, soit 7,2 %
chez les condamnés sans sursis 10 sur 186, soit 5,3 %
Si nous décomptons la récidive en fonction de lâge, nous trouvons :
Age avec sursis sans sursis
15 à 21 ans compris 18,6 % 16%
22 à 28 ans compris 14,8 % 4 %
29 à 36 ans compris 3 % 6 %
Si nous distinguons le groupe des voleurs parmi les autres délinquants, nous obtenons :
Age Nombre de voleurs parmi les Nombre de récidivistes
primaires
avec sursis sans sursis avec sursis sans sursis
15 à 21 ans 50 % 50 % 27 % 31 %
22 à 28 ans 25 % 25 % 22 % 10 %
Relevons dabord que nous trouvons chaque fois le même nombre de voleurs dans les deux groupes avec et sans sursis mais que le pourcentage des voleurs diminue très rapidement avec lâge par rapport aux autres délinquants ; il devient négligeable après 28 ans, parmi les primaires.
Tout au long de ce chapitre, nous avons noté que les récidivistes sont plus nombreux parmi les bénéficiaires du sursis que parmi ceux à qui il a été refusé à la première condamnation.
Pour aller plus loi, il nous faut un nouvel instrument.
2) La propension à récidiver en fonction de la première peine
Nous allons appeler ainsi tout ce qui conduit à récidiver, que nous navons pas encore analysé, mais dont la résultante amène le délinquant à passer une seconde fois à lacte délictueux. Cest exactement léquivalent de ce que Keynes avait défini comme la propension à économiser, à investir ou à consommer et dont il sest servi avec tant de succès.
Pouvons-nous la mesurer ? Nous pouvons au moins mesurer les états déquilibre atteints quand cette propension à récidiver se trouve conjuguée à la dissuasion de récidiver qui résulte de la sanction judiciaire. Ce faisant, nous ne ferons rien dautre que le fabricant qui étalonne un peson par exemple lorsquil relève lallongement dun ressort sollicité par une succession de poids.
Dénombrons tous les primaires, par durée des peines prononcées, notons le nombre des récidivistes et relevons le pourcentage des récidivistes déclaré chaque fois. La variation de ce pourcentage est représenté au graphique n° 3. En abscisse, nous portons la durée de la peine, en ordonnée, le pourcentage observé. Nous avons deux courbes, une pour les bénéficiaires du sursis, une pour ceux à qui il a été refusé. Il convient de préciser que si les juges correctionnels sont compétents et logiques, à la durée des peines on pourrait substituer la gravité des faits. En effet, il sagit de primaires pour qui nentre pas en considération dautre facteur que la gravité des faits et la responsabilité.
Nous obtenons les valeurs suivantes :
Peines % de récidivistes
Avec sursis Sans sursis
Jusquà 3 mois 5,6 % 2 %
Jusquà 6 mois 22 % 6 %
Jusquà 12 mois 12 % 12 %
Jusquà 18 mois 4 % 3 %
Il en résulte à lévidence que pour les petites peines (petits faits délictueux) la propension à récidiver est très faible après une peine ferme (2 %) et faible après un sursis de 3 mois (5,6 %).
Pour les peines de 3 à 6 mois (faits plus graves), la propension reste très forte après un sursis (22 %) et faible après une peine ferme (6%).
Après une peine de 6 à 12 mois (faits plus graves), la propension à récidiver est forte (12 %) et se trouve la même quil y ait eu sursis ou non.
Après une peine supérieure à 1 an, la propension à récidiver redevient très faible et sensiblement égale dans les deux cas. Nous pouvons en conclure que les petits faits et les faits graves sont jugés de manière efficace mais que le dosage intermédiaire des sanctions nest pas heureux ; quune peine de 9 mois (moyenne entre 6 et 12) est aussi efficace quelle soit prononcée avec sursis ou non ; que jusque là, une peine ferme est beaucoup plus dissuasive quassortie du sursis ; cétait le bon sens.
Jen déduis que le Code Pénal est tout à fait fondé à fixer un minimum aux peines quil prévoit. Le tempérament apporté par la possibilité du sursis devrait permettre aux juges correctionnels de ne descendre quexceptionnellement au dessous de ce minimum. Il nen résulterait aucun dommage immédiat pour le primaire, au contraire puisquil serait dissuadé plus souvent de récidiver. Le minimum dun an respecté chaque fois quil est prévu, cest la récidive ramenée à 3 ou 4 % avec léconomie énorme de malheurs que le délit entraîne pour son auteur, sa famille et les victimes.
Je fais ici une parenthèse pour signaler que jai souvent constaté quune peine inférieure au minimum est source dun sentiment dinjustice chez le délinquant car il croit toujours trouver un cas plus grave que le sien puni moins sévèrement.
La confirmation de ce qui précède sur la propension à récidiver se trouve ailleurs. Javais relevé quarante cas de personnes incarcérées par le juge dinstruction et condamnées ensuite par le tribunal à des peines assorties du sursis. Dix dentre elles ont récidivé. Toutes sauf une avaient été incarcérées trois mois où moins et avaient été condamnées à huit mois ou moins avec sursis.
Jen déduis une seconde loi générale :
«LE MINIMUM PREVU PAR LE CODE PENAL POUR LES PEINES QUIL ORDONNE, INSPIRE AUX DELINQUANTS PRIMAIRES UNE DISSUASION EGALE A LA PROPENSION A RECIDIVER DE PLUS DE 95 % DENTRE EUX. AU DELA DUNE PEINE DE NEUF MOIS, UNE PEINE AVEC SURSIS EST AUSSI DISSUASIVE POUR UN PRIMAIRE QUE LA MEME PEINE PRONONCEE SANS SURSIS.»
3) La distribution des primaires de 1965 devenus récidivistes depuis, en fonction de leur âge lors de leur première condamnation
Elle est totalement différente de celle des délinquants doccasion. Il sagit de toute évidence dune population différente. Je notai quil sagissait dindividus très jeunes dont les effectifs diminuaient très rapidement avec lâge. Je mefforçais de les comparer avec les autres récidivistes dont la présence avait été notée pendant la semaine dobservation mais sans y parvenir tellement la différence dâge était grande entre eux.
Javais cru devoir faire de ces récidivistes deux échantillons :
- Le premier comprenait tous les individus qui avaient récidivé avant 1965 et avaient continué après.
- Le second comprenait tous les récidivistes dont la condamnation de 1965 avait été la dernière. Une coïncidence me frappait : au cours de cette semaine dobservation, il était né 30 récidivistes tandis que 29 étaient sortis de la délinquance. Sagissait-il dune coïncidence ou pouvait-on en tirer que la délinquance est stable, du moins quelle létait en 1965
4) La distribution des récidivistes en fonction de leur âge au moment des premiers faits
Cest alors que jai compris comment rapprocher ces deux échantillons de récidivistes de celui né en 1965. Je classais les 3 échantillons en fonction de lâge des délinquants lors de leurs premiers faits délictueux. Ici, je dois vous dire combien est admirable la manière dont nos anciens ont pensé le casier judiciaire : je suis persuadé que ce nest pas par hasard que les renseignement dont javais besoin étaient portés sur les B1 !
Pour lanecdote, je vous dirai quen moins dune heure, Madame Parvilliers établit les trois distributions et à laide dun petit calculateur, je fis le test statistique qui me montra quil ny avait pas une chance sur cent que les trois échantillons de ces récidivistes que rien ne rapprochait, que parfois cinquante ans dâge écartaient, dont certains étaient morts quand les autres développaient leurs carrières que ces trois échantillons, dis-je, ne fussent pas extraits de la même populations. Ainsi, la population des récidivistes paraissait éternelle : il naît des récidivistes, il en meurt, une constante les rapproche, lâge dentrée dans la délinquance, et javais dès lors de droit que la statistique la plus rigoureuse me reconnaissait de les rassembler en un échantillon unique. Avec 99 cas de récidivistes, jallais connaître leur population et leur comportement. Jétablis un nouveau tableau : en abscisse, lâge dentrée dans la délinquance des récidivistes, en ordonnée, le nombre de délits quils avaient commis au cours de leur carrière ; puis jen tirais le graphique n° 2. La courbe n° 1 représente le nombre des récidivistes entrés dans la délinquance dans la période dâge portée en abscisse et la courbe n° 2 le nombre des délits commis par ces mêmes récidivistes. Il saute aux yeux que ces deux courbes sont des exponentielles décroissantes, cest-à-dire que le nombre des entrées dans la délinquance font très rapidement avec le temps selon une période constate. Au cours de la première période, il naît la moitié des récidivistes possibles, au cours de la seconde période il en naît le quart, au cours de la troisième, il en naît le 1/8ème puis le 1/16ème, le 1/32ème et ainsi de suite. Cest ainsi que diminue la radioactivité dun élément. Pour connaître la période de la propension à récidiver, il me suffisait de compte les naissances de récidivistes et effectivement je trouvais une période constante de 7 ans
14,5 ans à 21,5 ans 50 récidivistes
21,5 ans à 28,5 ans 25 récidivistes
28,5 ans à 35,5 ans 13 récidivistes
35,5 ans à 42,5 ans 5 récidivistes
42,5 ans à 49,5 ans 4 récidivistes
49,5 ans et au-delà 2 récidivistes
Explicitons ce que nous venons de faire. Grâce à la statistique jétais sûr que mes trois échantillons appartenaient à la même population. En les réunissant, je faisais ce quaurait pu faire un observateur moins pressé que moi, cest-à-dire identifier et marquer toute une classe de jeunes français de 14 ans puis les observer pendant 50 ans. Au cours des 7 premières années, il en voit un certain nombre devenir récidivistes, puis au cours des 7 années suivantes, la moitié du premier nombre devient à son tour récidiviste, etc.
Cest cette période de 7 ans à partir de 14,5 ans qui a trompé les criminologues et leur a fait croire à lexistence dune délinquance spécifiquement juvénile car évidemment chaque 1er janvier, une nouvelle classe de jeunes vient à 14 ans et va se cumuler avec les précédentes faisant apparaître beaucoup de jeunes délinquants dont on ne sait pas encore -à cause de la lenteur de la Justice - quils sont des récidivistes.
Je peux maintenant exprimer une troisième loi :
«LA POPULATION DELINQUANTE DHABITUDE SE MANIFESTE SUIVANT UNE PERIODE DE DEMIE VIE DE 7 ANS A COMPTER DE 14,5 ANS DAGE.»
5) La variation de la propension à récidiver
Mais quen est-il des récidivistes eux-mêmes ? Puisque nous connaissons leur nombre par période et le nombre de leurs condamnations, nous pouvons calculer ce quils deviennent :
Age Nombre de condamnations prononcées
14,5 ans à 21,5 ans 7,4 par individu
21,5 ans à 28,5 ans 6,6 par individu
28,5 ans à 35,5 ans 4,6 par individu
35,5 ans à 42,5 ans 6 par individu
42,5 ans à 49,5 ans 5 par individu
49,5 ans à 56,5 ans 2,5 par individu
Il apparaît ainsi que plus un délinquant entre tard dans la délinquance dhabitude, moins il commet de délits, comme si le temps lui manquait et seulement pour cette raison.
Je peux exprimer ceci sous forme de la 4ème loi :
«LA PROPENSION A RECIDIVER DES DELINQUANTS DHABITUDE DIMINUE DE 2 % PAR ANNEE DAGE A COMPTER DE 14,5 ANS.»
6) La «carrière» des récidivistes
75 % ont 4 condamnations ou plus pour 30 mois demprisonnement ou plus,
50 % ont 6 condamnations ou plus pour 50 mois demprisonnement ou plus,
25 % ont 10 condamnations ou plus pour 100 mois demprisonnement ou plus.
La moitié dentre eux a été condamnée entre 4 et 10 fois pour un total de 50 à 100 mois.
Le temps écoulé entre le premier et le dernier fait délictueux était en moyenne de 12 ans, pour 50 % dentre eux il était compris entre 7 et 17 ans.
Les primaires dénombrés au cours de la semaine dobservation étaient 462. Les 70 récidivistes observés avec eux ont été condamnés 557 fois. Cela signifie que les récidivistes, à eux seuls, commettent 120 % des délits dont les auteurs sont primaires, cest-à-dire plus de la moitié des délits dont les auteurs sont identifiés. Il ne me paraît pas audacieux de dire quils commettent dans la même proportion au moins, ceux dont les auteurs ne sont pas connus.
7) Le nombre des récidivistes en activité en France
Sachant que les récidivistes passent en moyenne devant un tribunal 8 fois en 12 ans, soit 0,66 fois par an, que le tribunal de Paris en a vu 70 en une semaine soit le 1/300ème de ce que les tribunaux français en voient chaque année, on peut dire - très grossièrement bien entendu - quil y a en activité en France 70 x 300 x 12/8 = 30 000 récidivistes dhabitude dont le calcul montre que 50 % dentre eux est âgé de moins de 25 ans et 75 % de moins de 30 ans.
8) Lexplosion de la délinquance
Cest la dernière question importante à laquelle je devais répondre. Nous avons vu quun premier indice était donné par le fait quil était sorti de la délinquance en 1965 autant de récidivistes quil en était entré. Considérons alors les résultats obtenus : un petit nombre seulement de primaires devient récidiviste. Si la délinquance a explosé comme on le répète, pourrait-il sagir seulement des primaires ? Cest invraisemblable. Pourrait-il sagir seulement des récidivistes ? Il est peu probable et en tout cas contraire à ce que nous avons vu, que depuis 50 ans, le nombre des primaires ait augmenté tandis que la propension à récidiver aurait diminué ! Nous avons donc un moyen de savoir si le nombre des récidivistes a varié en observant leur distribution par année de naissance Si à une période quelconque nous voyons que des récidivistes plus nombreux sont nés, il sen suivra évidemment que quelques années plus tard le nombre des délinquants augmentera aussi.
Or, la vérification de la distribution des récidivistes en fonction de leur année de naissance montre sans aucune équivoque quil en est né, si lon peut sexprimer ainsi, 1,5 par an et que les écarts constatés autour de cette valeur ne sont pas significatifs.
Cette constatation, confirmée par légalité des entrées et des sorties de récidivistes dans la délinquance ou hors delle nest pas sans importance car elle détruit tout ce qui à été avancé jusquici sur le développement de la délinquance depuis la dernière guerre. On voyait de jeunes délinquants fabriqués à la chaîne par la société de consommation, par lurbanisme inhumain, la télévision, que sais-je encore ? En fait, les observateurs voyaient des délinquants jeunes en oubliant même quà compter de 1946, les classes ont été supérieures de 30 à 50 % aux classes qui avaient précédé et que les délinquants nés ces années là ne pouvaient manquer darriver à la délinquance à partir de 1960, que ces jeunes ne pouvaient être que là où leurs parents habitaient, cest-à-dire dans les banlieues et les cités nouvelles, sans que lurbanisme fût aucunement en question, alors que les vieilles personnes sont demeurées dans les vieux quartiers où le droit au maintien les attache.
Sil y a augmentation de la délinquance, et je crois que malheureusement il ny a pas de doute là-dessus, elle ne peut venir que de laugmentation du nombre des délits commis par les récidivistes. Il faut ici comprendre que nous avons fait dans les pays occidentaux une expérience criminologique que nous avons perdue de vue et dont nous navons en tout cas pas suivi les conséquences détape en étape.
Revenons en arrière : depuis le 03 juillet 1954, la relégation est facultative, mais déjà auparavant elle tombait en désuétude. La jurisprudence na cessé de raccourcir les peines prononcées : en 1952, elles étaient encore à Pontoise, avec sursis ou sans de 6 mois. En 1965 encore à Paris, 75 % des récidivistes avaient été condamnés 4 fois ou plus et les peines qui leur avaient été infligées en récidive étaient inférieures au minimum prévu pour les primaires. La tendance actuelle est encore à abréger les peines et à raccourcir leur exécution.
Rien na démontré - et surtout pas les travaux du CNERP - que la loi ou la prison fût mauvaise. Tout mon travail ma conduit au contraire à retrouver que les dispositions du Code sont efficaces, quelles peuvent et doivent donc être appliquées. Je ne soulignerai pas le paradoxe quil peut y avoir à se trouver dans lobligation de soutenir que les lois en vigueur sont bonnes et que cest à tort quon renonce à les appliquer
Certes nos fonctions nous paraîtraient plus difficiles et dures à appliquer la loi dans toute sa rigueur, mais si cest le remède à la délinquance, avons nous le droit de la négliger ? Au nom de quelle expérience ?
Quelques milliers de vies sauvées sur la route, seraient-elles trop payées de la détention de quelques conducteurs maladroits ou imprudents, des milliers de faits de vol, descroquerie, de proxénétismes évités seraient-ils trop payés de quelques centaines de relégations ? Et si cette application rigoureuse ne servait enfin quà sauver quelques délinquants de leur propre délinquance, serait-elle inutile ?
Jen aurai terminé, Madame, quand je vous aurai dit que comme Pygmalion le statisticien voit son uvre lui échapper. Jai voulu savoir si la prison pourrissait les détenus et poussait à la récidive Jai découvert, quau contraire, cest une application très partielle de la loi qui permet lexplosion de la délinquance que nous connaissons.
Je vous remercie encore, Madame, de mavoir permis de le dire .
Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de lavoir écouté.
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