UNE THEORIE GENERALE

DE LA DELINQUANCE, DE LA RECIDIVE ET DES PEINES

 

Extrait d’un exposé fait devant l’Assemblée Plénière du Tribunal de Grande Instance de Paris

par Mr. E.M. Fontaine, juge d’instruction, le 09 novembre 1976.

 

L’auteur remercie d’abord Madame Rosen, Présidente du Tribunal, de lui avoir donné la parole puis dans une première partie de son exposé, il s’emploie à démontrer que les critiques de la prison présentée comme un pourrissoir ou une institution criminogène sont fondées sur des travaux sans signification scientifique,

 

·         parce que les échantillons qui ont été analysés par les auteurs de ces travaux n’étaient nullement représentatifs de la délinquance,

 

·         parce que les concepts mis en œuvre, tels le «retour en prison dans les dix ans» étaient flous,

 

·         parce que le raisonnement conduisant à la critique de l’emprisonnement était conduit sans rigueur : il paraissait ignorer par exemple que la récidive est jusqu’à dix fois plus fréquente chez les délinquants qui ont bénéficié d’un sursis que chez ceux qui ont purgé leur peine.

 

Le rapporteur en vient ensuite à ses propres travaux.

 

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Vers la page 3

 

II. - LA THEORIE GENERALE DE LA DELINQUANCE, DE LA RECIDIVE ET DES PEINES

 

                C’est après que, au début de l’année, Monsieur le Procureur de la République m’ait reçu et encouragé, que l’ai décidé de reprendre ce travail dont le résultat avait été jusque là, il faut bien le constater, nul.

 

                Il ne pouvait pas être question bien entendu, de se limiter encore à savoir si la prison pourrissait ou non. En réalité, il fallait repartir de zéro pour faire une étude fondamentale. J’ai donc entreprise une étude raisonnée du problème de la récidive à l’intérieur de celui de la délinquance après avoir constaté que les criminologues avaient sans doute été égarés en se bornant à des vues partielles de la délinquance : détenue, mineurs, violents, enfants de milieu dissocié, etc.

 

                J’ai été si satisfait du résultat de ce travail que le l’ai intitulé «Théorie générale de la délinquance, de la récidive et des peines» et que je vous prie, Madame le Président, de me faire l’honneur d’accepter qu’il vous soit dédié.

 

                Je n’ai pu mener à bien ce travail en moins de trois mois que grâce à l’aide enthousiaste et à la réflexion que m’ont apportées Monsieur Charnay que vous connaissez tous bien, Madame Parvilliers que vous connaîtrez et Madame Chraiet, Magistrat tunisien qui était en stage à mon cabinet au moment où je me suis intéressé à la criminologie.

Qu’ils en soient tous remerciés.

 

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Vers la page 4

 

A/ LA METHODE

 

                Descartes ayant déjà découvert et posé les principes de la recherche scientifique, je me suis borné à inventorier, à dénombrer, à ordonner, à comparer. J’ai voulu partir d’un échantillon absolument indiscutable de la délinquance. Le rythme des audiences étant au plus hebdomadaire à Paris, j’ai décidé d’analyser une semaine entière du travail de toutes les chambres du tribunal correctionnel. Pour être sûr d’avoir le recul suffisant (jugement définitif et inscription au casier de nouveaux faits commis 5 ans après la fin de la peine ordonnée éventuellement en appel sur la décision que j’allais analyser) j’ai choisi l’année 1965.

 

                Parmi les semaines entièrement travaillées de 1965, le sort a désigné celle du 22 au 28 novembre 1965.

                Après avoir écarté les jugements par défaut, nous avons analysé tous les autres et nous nous sommes trouvés en présence de 1 001 personnes, soit environ la trois centième partie de l’œuvre judiciaire pénal annuel de la France à l’époque.

 

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                Il faut bien noter que cette semaine judiciaire était la représentation exacte d’une semaine de délinquance connue. Effectivement, les personnes condamnées l’ont été pour des crimes correctionnalisés (vols qualifiés, viols, agressions) des délits simples (cambriolages, proxénétisme, homicides et blessures involontaires, coups et blessures volontaires, fraudes, escroqueries, abus de confiance, fraude fiscale) etc.

 

                Le résultat de cette activité s’est traduit par 358 condamnations à une amende simple, 643 condamnations à une peine d’emprisonnement assortis ou non d’une amende ou du sursis.

 

                Tous les cas non significatifs - personnes décédées, expulsées, d’identité incertaine - ont été à leur tour écartés et les autres ont été analysés du point de vue de la nationalité, du sexe, de l’âge, de l’état de primaire ou de récidiviste, des peines en première instance et en appel, des peines déjà encourues ou qui le furent postérieurement, de l’âge aux premiers faits, de la durée de l’état de délinquant, de l’exécution de la peine, au total 20 variables ce qui nous a donné 20 000 fiches environ établies de telle manière qu’en peu de temps nous pouvions connaître n’importe quel sous-ensemble. Ce n’était quand même pas un fichier électronique.

 

                Aujourd’hui, bien entendu nous ne parlerons que de la récidive mais pour y arriver il faut partir de la délinquance primaire. C’est par là que l’ai commencé en établissant un premier tableau. Il représente tous les cas de délinquance primaire. Je dis sans sourire que l’ayant terminé, je l’ai trouvé aussi émouvant que la première photo reçue de la face cachée de la Lune ou de Mars. C’est à ma connaissance la première représentation complète que nous ayons de la délinquance primaire à l’état pur, je dirais cristallin.

   

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                Ce graphique est déjà passablement ordonné puisque vous trouvez au Nord tous ceux qui n’ont pas récidivé dans les termes du Code Pénal, au Sud, ceux qui ont récidivé. A l’Est ceux qui ont été condamnés avec sursis, à l’Ouest ceux qui ont purgé leur peine. En outre, le tableau représente chaque cas par deux coordonnées cartésiennes : en abscisse la durée de la peine prononcé, en ordonné l’âge au moment de la condamnation. Nous n’avons plus qu’à puiser dans ce graphique pour en établir d’autres plus fins, la difficulté étant donc divisée et réduite chaque fois.

 

 

B/ LES DELINQUANTS PRIMAIRES QUI N’ONT PAS RECIDIVE OU «DELINQUANTS D’OCCASION»

 

                Le graphique n° 1 représente la distribution par âge des délinquants primaires qui n’ont pas récidivé.

 

                Il est facile de constater et de vérifier que cette courbe est la représentation d’une distribution aléatoire obéissant à la loi de Laplace.

 

                La surprise est extraordinaire de constater que cette courbe est parfaitement symétrique et ne présente aucune «bosse» ou déformation de son tracé parfait en cloche. Cela signifie sans aucune ambiguïté ni doute possible que la délinquance d’occasion est effectivement un événement aléatoire. Cela est surprenant car c’est le contraire de tout ce qui a été dit en la matière. Il est évident qu’il n’y a donc pas de délinquance primaire spécialement juvénile ou sénile. Cette délinquance est distribuée comme les erreurs d’une machine automatique, comme la taille d’une espèce végétale pure, etc. Son maximum est à 30 ans ce qui signifie qu’en1965, en France, c’est l’individu de 30 ans qui a le plus d’occasions d’enfreindre la loi. Il n’est plus sous la tutelle de ses parents ou de l’Armée, il n’est pas encore sous celle de sa femme ou de sa belle-mère, il n’est pas encore entièrement pris dans le système mis en place, mais il ne fait pas de doute qu’en d’autres lieux ou en d’autres temps le maximum soit placé ailleurs. Notez bien ce qui est important, la courbe à 18 ans passe par un point symétrique de celui où elle passe à 43 ans, et ne part pas de zéro comme on aurait pu l’imaginer à priori. Cela marque bien que du bambin dans son «youpa-la» au vieillard dans son fauteuil, l’infraction à la loi est partout et c’est arbitrairement que la loi et les tribunaux ne sanctionnent de prison qu’à compter en général de 18 ans et guère plus après 75 ou 80 ans.

   

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                Ceci me permet de donner une première loi à la criminologie : en désignant par délinquant d’occasion celui qui après une première condamnation ne commet pas de récidive au sens du Code Pénal : «EN FONCTION DE L’AGE,  LA DELINQUANCE D’OCCASION EST DISTRIBUEE NORMALEMENT». En 1965, en France, cette fonction était définie par une moyenne de 30,5 ans et un écart type de 14 ans. En corollaire : «IL N’A PAS DE DELINQUANCE D’OCCASION SPECIFIQUEMENT JUVENILES».

 

 

 

 

C/ LES RECIDIVISTES

 

                                1) Les primaires de 1965 devenus récidivistes

               

Nous constatons que la récidive a été globalement :

chez les condamnés avec sursis 20 sur 276, soit 7,2 %

chez les condamnés sans sursis 10 sur 186, soit 5,3 %

               

                                Si nous décomptons la récidive en fonction de l’âge, nous trouvons :

 

                Age                                                                       avec sursis                                                     sans sursis

15 à 21 ans compris                                                   18,6 %                                                   16%

22 à 28 ans compris                                                   14,8 %                                                      4 %

29 à 36 ans compris                                                     3    %                                                        6 %

 

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                Si nous distinguons le groupe des voleurs parmi les autres délinquants, nous obtenons :

 

                Age                Nombre de voleurs parmi les                                              Nombre de récidivistes          

                                                 primaires

avec sursis                sans sursis                                     avec sursis                sans sursis

15 à 21 ans                 50 %                            50 %                                                            27 %             31 %

22 à 28 ans                 25 %                            25 %                                                            22 %             10 %

 

                Relevons d’abord que nous trouvons chaque fois le même nombre de voleurs dans les deux groupes avec et sans sursis mais que le pourcentage des voleurs diminue très rapidement avec l’âge par rapport aux autres délinquants ; il devient négligeable après 28 ans, parmi les primaires.

 

                Tout au long de ce chapitre, nous avons noté que les récidivistes sont plus nombreux parmi les bénéficiaires du sursis que parmi ceux à qui il a été refusé à la première condamnation.

 

                Pour aller plus loi, il nous faut un nouvel instrument.

 

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                                2) La propension à récidiver en fonction de la première peine

 

                                Nous allons appeler ainsi tout ce qui conduit à récidiver, que nous n’avons pas encore analysé, mais dont la résultante amène le délinquant à passer une seconde fois à l’acte délictueux. C’est exactement l’équivalent de ce que Keynes avait défini comme la propension à économiser, à investir ou à consommer et dont il s’est servi avec tant de succès.

 

                Pouvons-nous la mesurer ? Nous pouvons au moins mesurer les états d’équilibre atteints quand cette propension à récidiver se trouve conjuguée à la dissuasion de récidiver qui résulte de la sanction judiciaire. Ce faisant, nous ne ferons rien d’autre que le fabricant qui étalonne un peson par exemple lorsqu’il relève l’allongement d’un ressort sollicité par une succession de poids.

 

                Dénombrons tous les primaires, par durée des peines prononcées, notons le nombre des récidivistes et relevons le pourcentage des récidivistes déclaré chaque fois. La variation de ce pourcentage est représenté au graphique n° 3. En abscisse, nous portons la durée de la peine, en ordonnée, le pourcentage observé. Nous avons deux courbes, une pour les bénéficiaires du sursis, une pour ceux à qui il a été refusé. Il convient de préciser que si les juges correctionnels sont compétents et logiques, à la durée des peines on pourrait substituer la gravité des faits. En effet, il s’agit de primaires pour qui n’entre pas en considération d’autre facteur que la gravité des faits et la responsabilité.

   

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                Nous obtenons les valeurs suivantes :

 

                Peines                                                                                     % de récidivistes

                                                                                              Avec sursis                     Sans sursis

Jusqu’à 3 mois                                                                         5,6 %                            2 %

Jusqu’à 6 mois                                                                       22    %                          6 %

Jusqu’à 12 mois                                                                     12    %                        12 %

Jusqu’à 18 mois                                                                       4    %                            3 %

 

                Il en résulte à l’évidence que pour les petites peines (petits faits délictueux) la propension à récidiver est très faible après une peine ferme (2 %) et faible après un sursis de 3 mois (5,6 %).

 

                Pour les peines de 3 à 6 mois (faits plus graves), la propension reste très forte après un sursis (22 %) et faible après une peine ferme (6%).

 

                Après une peine de 6 à 12 mois (faits plus graves), la propension à récidiver est forte (12 %) et se trouve la même qu’il y ait eu sursis ou non.

 

                Après une peine supérieure à 1 an, la propension à récidiver redevient très faible et sensiblement égale dans les deux cas. Nous pouvons en conclure que les petits faits et les faits graves sont jugés de manière efficace mais que le dosage intermédiaire des sanctions n’est pas heureux ; qu’une peine de 9 mois (moyenne entre 6 et 12) est aussi efficace qu’elle soit prononcée avec sursis ou non ; que jusque là, une peine ferme est beaucoup plus dissuasive qu’assortie du sursis ; c’était le bon sens.

   

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                J’en déduis que le Code Pénal est tout à fait fondé à fixer un minimum aux peines qu’il prévoit. Le tempérament apporté par la possibilité du sursis devrait permettre aux juges correctionnels de ne descendre qu’exceptionnellement au dessous de ce minimum. Il n’en résulterait aucun dommage immédiat pour le primaire, au contraire puisqu’il serait dissuadé plus souvent de récidiver. Le minimum d’un an respecté chaque fois qu’il est prévu, c’est la récidive ramenée à 3 ou 4 % avec l’économie énorme de malheurs que le délit entraîne pour son auteur, sa famille et les victimes.

 

                Je fais ici une parenthèse pour signaler que j’ai souvent constaté qu’une peine inférieure au minimum est source d’un sentiment d’injustice chez le délinquant car il croit toujours trouver un cas plus grave que le sien puni moins sévèrement.

 

                La confirmation de ce qui précède sur la propension à récidiver se trouve ailleurs. J’avais relevé quarante cas de personnes incarcérées par le juge d’instruction et condamnées ensuite par le tribunal à des peines assorties du sursis. Dix d’entre elles ont récidivé. Toutes sauf une avaient été incarcérées trois mois où moins et avaient été condamnées à huit mois ou moins avec sursis.

 

                J’en déduis une seconde loi générale :

«LE MINIMUM PREVU PAR LE CODE PENAL POUR LES PEINES QU’IL ORDONNE, INSPIRE AUX DELINQUANTS PRIMAIRES UNE DISSUASION EGALE A LA PROPENSION A RECIDIVER DE PLUS DE 95 % D’ENTRE EUX. AU DELA D’UNE PEINE DE NEUF MOIS, UNE PEINE AVEC SURSIS EST AUSSI DISSUASIVE POUR UN PRIMAIRE QUE LA MEME PEINE PRONONCEE SANS SURSIS.»

 

3) La distribution des primaires de 1965 devenus récidivistes depuis, en fonction de leur âge lors de leur première condamnation

               

Elle est totalement différente de celle des délinquants d’occasion. Il s’agit de toute évidence d’une population différente. Je notai qu’il s’agissait d’individus très jeunes dont les effectifs diminuaient très rapidement avec l’âge. Je m’efforçais de les comparer avec les autres récidivistes dont la présence avait été notée pendant la semaine d’observation mais sans y parvenir tellement la différence d’âge était grande entre eux.

   

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Vers la page 12

                J’avais cru devoir faire de ces récidivistes deux échantillons :

                - Le premier comprenait tous les individus qui avaient récidivé avant 1965 et avaient continué après.

- Le second comprenait tous les récidivistes dont la condamnation de 1965 avait été la dernière. Une coïncidence me frappait : au cours de cette semaine d’observation, il était né 30 récidivistes tandis que 29 étaient sortis de la délinquance. S’agissait-il d’une coïncidence ou pouvait-on en tirer que la délinquance est stable, du moins qu’elle l’était en 1965…   

 

                                4) La distribution des récidivistes en fonction de leur âge au moment des premiers faits

 

                C’est alors que j’ai compris comment rapprocher ces deux échantillons de récidivistes de celui né en 1965. Je classais les 3 échantillons en fonction de l’âge des délinquants lors de leurs premiers faits délictueux. Ici, je dois vous dire combien est admirable la manière dont nos anciens ont pensé le casier judiciaire : je suis persuadé que ce n’est pas par hasard que les renseignement dont  j’avais besoin étaient portés sur les B1 !

 

                Pour l’anecdote, je vous dirai qu’en moins d’une heure, Madame Parvilliers établit les trois distributions et à l’aide d’un petit calculateur, je fis le test statistique qui me montra qu’il n’y avait pas une chance sur cent que les trois échantillons de ces récidivistes que rien ne rapprochait, que parfois cinquante ans d’âge écartaient, dont certains étaient morts quand les autres développaient leurs carrières que ces trois échantillons, dis-je, ne fussent pas extraits de la même populations. Ainsi, la population des récidivistes paraissait éternelle : il naît des récidivistes, il en meurt, une constante les rapproche, l’âge d’entrée dans la délinquance, et j’avais dès lors de droit que la statistique la plus rigoureuse me reconnaissait de les rassembler en un échantillon unique. Avec 99 cas de récidivistes, j’allais connaître leur population et leur comportement. J’établis un nouveau tableau : en abscisse, l’âge d’entrée dans la délinquance des récidivistes, en ordonnée, le nombre de délits qu’ils avaient commis au cours de leur carrière ; puis j’en tirais le graphique n° 2. La courbe n° 1 représente le nombre des récidivistes entrés dans la délinquance dans la période d’âge portée en abscisse et la courbe n° 2 le nombre des délits commis par ces mêmes récidivistes. Il saute aux yeux que ces deux courbes sont des exponentielles décroissantes, c’est-à-dire que le nombre des entrées dans la délinquance font très rapidement avec le temps selon une période constate. Au cours de la première période, il naît la moitié des récidivistes possibles, au cours de la seconde période il en naît le quart, au cours de la troisième, il en naît le 1/8ème  puis le 1/16ème, le 1/32ème et ainsi de suite. C’est ainsi que diminue la radioactivité d’un élément. Pour connaître la période de la propension à récidiver, il me suffisait de compte les naissances de récidivistes et effectivement je trouvais une période constante de 7 ans…

   

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Vers la page 13

                                14,5 ans                 à                21,5 ans                                 50 récidivistes

                                21,5 ans                 à                28,5 ans                                 25 récidivistes

                                28,5 ans                 à                35,5 ans                                 13 récidivistes

                                35,5 ans                 à                42,5 ans                                  5 récidivistes

                                42,5 ans                 à                49,5 ans                                  4 récidivistes

                                49,5 ans                 et                au-delà                                    2 récidivistes

 

Explicitons ce que nous venons de faire. Grâce à la statistique j’étais sûr que mes trois échantillons appartenaient à la même population. En les réunissant, je faisais ce qu’aurait pu faire un observateur moins pressé que moi, c’est-à-dire identifier et marquer toute une classe de jeunes français de 14 ans puis les observer pendant 50 ans. Au cours des 7 premières années, il en voit un certain nombre devenir récidivistes, puis au cours des 7 années suivantes, la moitié du premier nombre devient à son tour récidiviste, etc.

 

                C’est cette période de 7 ans à partir de 14,5 ans qui a trompé les criminologues et leur a fait croire à l’existence d’une délinquance spécifiquement juvénile car évidemment chaque 1er janvier, une nouvelle classe de jeunes vient à 14 ans et va se cumuler avec les précédentes faisant apparaître beaucoup de jeunes délinquants dont on ne sait pas encore -à cause de la lenteur de la Justice - qu’ils sont des récidivistes.

   

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Vers la page 14

                Je peux maintenant exprimer une troisième loi :

«LA POPULATION DELINQUANTE D’HABITUDE SE MANIFESTE SUIVANT UNE PERIODE DE DEMIE VIE DE 7 ANS A COMPTER DE 14,5 ANS D’AGE.»

 

                                5) La variation de la propension à récidiver

 

                Mais qu’en est-il des récidivistes eux-mêmes ? Puisque nous connaissons leur nombre par période et le nombre de leurs condamnations, nous pouvons calculer ce qu’ils deviennent :

 

                                Age                                                       Nombre de condamnations prononcées

                   14,5 ans à 21,5 ans                                                            7,4 par individu

                   21,5 ans à 28,5 ans                                                           6,6 par individu

                   28,5 ans à 35,5 ans                                                            4,6 par individu

                   35,5 ans à 42,5 ans                                                            6    par individu

                   42,5 ans à 49,5 ans                                                            5    par individu

                   49,5 ans à 56,5 ans                                                            2,5 par individu

 

                Il apparaît ainsi que plus un délinquant entre tard dans la délinquance d’habitude, moins il commet de délits, comme si le temps lui manquait et seulement pour cette raison.

   

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Vers la page 15

                Je peux exprimer ceci sous forme de la 4ème loi :

«LA PROPENSION A RECIDIVER DES DELINQUANTS D’HABITUDE DIMINUE DE 2 % PAR ANNEE D’AGE A COMPTER DE 14,5 ANS.»

 

                                6) La «carrière» des récidivistes

 

75 % ont 4   condamnations ou plus pour 30   mois d’emprisonnement ou plus,              

50 % ont 6   condamnations ou plus pour 50   mois d’emprisonnement ou plus,              

25 % ont 10 condamnations ou plus pour 100 mois d’emprisonnement ou plus.

 

                La moitié d’entre eux a été condamnée entre 4 et 10 fois pour un total de 50 à 100 mois.

 

                Le temps écoulé entre le premier et le dernier fait délictueux était en moyenne de 12 ans, pour 50 % d’entre eux il était compris entre 7 et 17 ans.

 

                Les primaires dénombrés au cours de la semaine d’observation étaient 462. Les 70 récidivistes observés avec eux ont été condamnés 557 fois. Cela signifie que les récidivistes, à eux seuls, commettent 120 % des délits dont les auteurs sont primaires, c’est-à-dire plus de la moitié des délits dont les auteurs sont identifiés. Il ne me paraît pas audacieux de dire qu’ils commettent dans la même proportion au moins, ceux dont les auteurs ne sont pas connus.

   

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Vers la page16

                                7) Le nombre des récidivistes en activité en France

 

                Sachant que les récidivistes passent en moyenne devant un tribunal 8 fois en 12 ans, soit 0,66 fois par an, que le tribunal de Paris en a vu 70 en une semaine soit le 1/300ème de ce que les tribunaux français en voient chaque année, on peut dire - très grossièrement bien entendu - qu’il y a en activité en France 70 x 300 x 12/8 = 30 000 récidivistes d’habitude dont le calcul montre que 50 % d’entre eux est âgé de moins de 25 ans et 75 % de moins de 30 ans.

 

                                8) L’explosion de la délinquance

 

                C’est la dernière question importante à laquelle je devais répondre. Nous avons vu qu’un premier indice était donné par le fait qu’il était sorti de la délinquance en 1965 autant de récidivistes qu’il en était entré. Considérons alors les résultats obtenus : un petit nombre seulement de primaires devient récidiviste. Si la délinquance a explosé comme on le répète, pourrait-il s’agir seulement des primaires ? C’est invraisemblable. Pourrait-il s’agir seulement des récidivistes ? Il est peu probable et en tout cas contraire à ce que nous avons vu, que depuis 50 ans, le nombre des primaires ait augmenté tandis que la propension à récidiver aurait diminué ! Nous avons donc un moyen de savoir si le nombre des récidivistes a varié en observant leur distribution par année de naissance… Si à une période quelconque nous voyons que des récidivistes plus nombreux sont nés, il s’en suivra évidemment que quelques années plus tard le nombre des délinquants augmentera aussi.

   

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Vers la page 17

                Or, la vérification de la distribution des récidivistes en fonction de leur année de naissance montre sans aucune équivoque qu’il en est né, si l’on peut s’exprimer ainsi, 1,5 par an et que les écarts constatés autour de cette valeur ne sont pas significatifs.

 

                Cette constatation, confirmée par l’égalité des entrées et des sorties de récidivistes dans la délinquance ou hors d’elle n’est pas sans importance car elle détruit tout ce qui à été avancé jusqu’ici sur le développement de la délinquance depuis la dernière guerre. On voyait de jeunes délinquants fabriqués à la chaîne par la société de consommation, par l’urbanisme inhumain, la télévision, que sais-je encore ? En fait, les observateurs voyaient des délinquants jeunes en oubliant même qu’à compter de 1946, les classes ont été supérieures de 30 à 50 % aux classes qui avaient précédé et que les délinquants nés ces années là ne pouvaient manquer d’arriver à la délinquance à partir de 1960, que ces jeunes ne pouvaient être que là où leurs parents habitaient, c’est-à-dire dans les banlieues et les cités nouvelles, sans que l’urbanisme fût aucunement en question, alors que les vieilles personnes sont demeurées dans les vieux quartiers où le droit au maintien les attache.

 

                S’il y a augmentation de la délinquance, et je crois que malheureusement il n’y a pas de doute là-dessus, elle ne peut venir que de l’augmentation du nombre des délits commis par les récidivistes. Il faut ici comprendre que nous avons fait dans les pays occidentaux une expérience criminologique que nous avons perdue de vue et dont nous n’avons en tout cas pas suivi les conséquences d’étape en étape.

   

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                Revenons en arrière : depuis le 03 juillet 1954, la relégation est facultative, mais déjà auparavant elle tombait en désuétude. La jurisprudence n’a cessé de raccourcir les peines prononcées : en 1952, elles étaient encore à Pontoise, avec sursis ou sans de 6 mois. En 1965 encore à Paris, 75 % des récidivistes avaient été condamnés 4 fois ou plus et les peines qui leur avaient été infligées en récidive étaient inférieures au minimum prévu pour les primaires. La tendance actuelle est encore à abréger les peines et à raccourcir leur exécution.

 

                Rien n’a démontré - et surtout pas les travaux du CNERP - que la loi ou la prison fût mauvaise. Tout mon travail m’a conduit au contraire à retrouver que les dispositions du Code sont efficaces, qu’elles peuvent et doivent donc être appliquées. Je ne soulignerai pas le paradoxe qu’il peut y avoir à se trouver dans l’obligation de soutenir que les lois en vigueur sont bonnes et que c’est à tort qu’on renonce à les appliquer…

 

                Certes nos fonctions nous paraîtraient plus difficiles et dures à appliquer la loi dans toute sa rigueur, mais si c’est le remède à la délinquance, avons nous le droit de la négliger ? Au nom de quelle expérience ?

 

                Quelques milliers de vies sauvées sur la route, seraient-elles trop payées de la détention de quelques conducteurs maladroits ou imprudents, des milliers de faits de vol, d’escroquerie, de proxénétismes évités seraient-ils trop payés de quelques centaines de relégations ? Et si cette application rigoureuse ne servait enfin qu’à sauver quelques délinquants de leur propre délinquance, serait-elle inutile ?

 

                J’en aurai terminé, Madame, quand je vous aurai dit que comme Pygmalion le statisticien voit son œuvre lui échapper. J’ai voulu savoir si la prison pourrissait les détenus et poussait à la récidive… J’ai découvert, qu’au contraire, c’est une application très partielle de la loi qui permet l’explosion de la délinquance que nous connaissons.

 

                Je vous remercie encore, Madame, de m’avoir permis de le dire .

 

                Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de l’avoir écouté.

               

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ANNEXE : Graphiques illustrant la théorie générale