CHRONIQUE DU TEMPS QUI PASSE : OCTOBRE 2003

 

E.M.Fontaine

 

 

A propos du « voile et du foulard islamiques »

 

Ce sujet (qui a commencé à se poser en 1994) étant devenu de société et chacun ou presque y étant allé de son couplet, il n’y a pas de raison que je n’ajoute pas le mien, même s’il ne s’agit pas encore d’un sujet criminologique. Il est évident que si une loi devait intervenir pour interdire quoi que ce soit, ce ne pourrait être qu’à peine de sanctions administratives ou pénales, même légères ou morales et cela nous intéresserait donc directement.

Commençons d’abord, comme nous le faisons toujours par préciser le vocabulaire employé.

Nous avons entendu parler tantôt du voile, tantôt du foulard islamique. Y a-t-il une différence entre les deux ?

Dans ce cas là je me reporte à celui qui a été mon compagnon depuis l’enfance, le petit Larousse illustré (édition 1988): comme vous le voyez je n’hésite pas à investir en achetant tous les dix ans une nouvelle édition !

Foulard : carré de soie ou de tissu léger que l’on met autour du cou ou que les femmes portent sur la tête// tex. Etoffe de soie légère, pour robes, cravates, fichus, etc.

Voile : étoffe destinée à couvrir ou à protéger // Pièce de toile, de dentelle, de soie, etc. servant à couvrir le visage ou la tête des femmes dans certaines circonstances…//prendre le voile, pour une femme, entrer en religion.

J’omets volontairement ce qui concerne le voile de béton, du palais, etc.

On s’aperçoit que le sens des deux mots est très proche et cela explique que souvent on ne fasse pas la différence. Il semble toutefois que généralement on retienne le foulard pour couvrir les cheveux, les oreilles, le cou et les épaules mais laisser le visage découvert alors que le voile recouvre toute la personne,  de la tête aux chevilles et particulièrement pour ce qui nous intéresse, le visage.

Jusqu’au Moyen Age les femmes européennes portaient un foulard qui leur couvrait la tête et les épaules. C’est ainsi qu’elles sont représentées en « gisantes » sur leur tombeau, sur les miniatures et les tapisseries et dans les reconstitutions cinématographiques telles que Quentin Durward : ces jolies créatures portent une toque et un foulard part d’un coté de celle-ci, passe sous le menton et remonte de l’autre coté, ne laissant libre que le visage. Jusqu’à ces dernières décennies, les religieuses catholiques portaient en toutes circonstances un vêtement qui ne laissait libre que le visage et une dame ne serait pas entrée dans une église ou un temple protestant « en cheveux », elle avait toujours la tête couverte mais le visage apparent.

Le voile était employé –toujours en Europe- pour le deuil, dans certaines processions, alors qu’au Moyen Orient jusqu’à la venue du Prophète et dans certaines tribus telles celles des Talibans, c’était la tradition qu’une femme ne pût sortir de chez elle que voilée de la tête aux pieds. Non seulement le visage était soigneusement dissimulé, mais les formes du corps elles mêmes n’apparaissaient pas.

L’enseignement du Prophète.

Il est reconnu que celui-ci fut un émancipateur de la femme : il lui donna le droit d’hériter, de gérer son patrimoine, d’entreprendre des affaires, de recevoir de l’enseignement ; dans certaines circonstances elle pouvait saisir le Cadi, juge religieux et demander le divorce ; mais il alla beaucoup plus loin !

Lorsqu’il enseigne au VII° siècle après J.C.  que le costume décent d’une femme est d’être couverte sur les cheveux, les oreilles, le cou, jusqu’aux poignets et aux chevilles, il rejette implicitement le voile qui couvre le visage !

En affirmant qu’une femme peut-être décente le visage découvert, il donne l’ordre aux tribus traditionalistes de ne pas imposer la couverture du visage et c’était un grand pas qui fut difficilement admis par ses contemporains ! Si difficilement  que certains qui se disent obéissants au Coran et l’invoquent ne peuvent encore l’admettre !

Paradoxalement certains affirment que le port du foulard (et non du voile) est une brimade, on a même écrit « un viol » de la femme !

Faisons ici, si vous le voulez bien un peu de science fiction du comportement.

En 1965, au terme d’une longue procédure, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait rendu une décision appelée à faire jurisprudence, sur l’application de l’article 222-32 du code pénal ainsi rédigé : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 100.000F d’amende ».

Les attendus étaient les suivants : « le fait pour une jeune femme de jouer une partie de ping pong les seins nus, sur une plage,  constitue une exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins. »

Il faut faire la remarque que les circonstances de l’exhibition incriminée sont bien précisées: la femme doit être jeune et le jeu pratiqué est le ping pong autrement désigné encore par tennis de table. Il semble que les faits ne seraient pas établis si une femme d’âge canonique avait joué au lawn tennis dans la même tenue. Les mouvements des joueurs étant beaucoup plus rapides dans le premier nommé de ces sports que dans le second.

 Ce que la Cour dans sa sagesse a voulu faire entendre sans le dire, telle était l’inhibition, c’est que la rapidité des coups au tennis de table et la fermeté de la graisse dans le sac de peau qui constitue un sein juvénile (définition du sein par Madame le docteur Françoise Dolto : une glande à lait reposant sur un coussin de graisse dans un sac de peau) donnent à ses mouvements une amplitude très large et une fréquence très élevées que n’auraient pas les seins d’une ancienne championne de la WTA . On se souviendra  que les girls du music hall d’avant guerre pouvaient avoir les seins nus si elles demeuraient immobiles comme des statues. D’autre part la Haute Juridiction admet que les seins ont un caractère sexuel qui n’existe pourtant que par la représentation qu’en donne le cerveau humain et non la physiologie.

Malgré cette décision, une des premières revendications des animatrices du Mouvement de Libération  des Femmes fut la suppression du soutien gorge, « pièce de lingerie féminine servant à maintenir la poitrine », dit Le Petit Larousse, « la poitrine étant constituée » selon le même ouvrage « des seins d’une femme », mais c’est tellement difficile de le dire !)  le soutien gorge étant l’instrument de l’oppression masculine !

 Si tel était le cas, les hommes avaient bien changé car ils applaudirent ! « Libérez, libérez ! »

Imaginez que cette réforme ait réussi et que depuis plus de trente ans les femmes, toutes les femmes refusent de porter cette pièce essentielle de vêtement. Aurait-il été possible d’interdire l’accès des plages, des stades etc. aux femmes qui persisteraient à la porter ?

Car cette revendication du beau sexe avait tout pour réussir : je me souviens qu’un jour de 1970, me trouvant sur la plage d’Argent à Porquerolles avec des amis nous vîmes les baigneurs sortir de l’eau,  les promeneurs des bois, pour affluer en courant vers la terrasse du café qui est là. Nous fîmes comme les autres pour trouver précisément deux magnifiques créatures disputant un match de tennis de table…les seins nus ! La pudeur publique et le sentiment moral en prirent un coup mais apparemment toutes les personnes présentes appréciaient !

Curieusement cette revendication des femmes fut rapidement et spontanément abandonnée. Le climat ? Ou plutôt quelque sentiment inné qui ressortit quand les femmes se rendirent compte qu’une fois de plus c’était elles qui faisaient les frais de ce qui plaisait aux hommes ?

 Quoiqu’il  en soit, la difficulté de cette affaire présente du foulard comme aurait pu l’être celle du soutien gorge, se trouve dans le fait qu’il ne s’agit pas d’empêcher quelques personnes de se dénuder et d’enfreindre les dispositions de l’article 222-32, mais au contraire de se couvrir ! Comme si certains criaient « je veux voir votre chevelure, montrez moi votre nuque … » et qu’on leur donne raison !

Le port du foulard parait correspondre chez certaines à un besoin sincère, comme il l’était encore il y a cinquante ans chez certaines chrétiennes. Faut­-il l’interdire parce qu’il a aussi été prescrit par le prophète Mahomet ?

C’est là que l’affaire se complique.

Il est certain que la République française est laïque, c'est-à-dire qu’elle-même n’appartient pas à une religion et qu’elle est neutre à l’égard de toutes les religions que ses enfants pourraient pratiquer et qu’ils pratiquent effectivement très librement.

Avec beaucoup de foi, la République a voulu une Ecole laïque. Il n’y a plus dans les écoles de la République Française aucun signe d’une appartenance quelconque à une église. De même le personnel enseignant est-il appelé à une stricte neutralité quelles que soient ses convictions intimes,  comme aussi le sont les magistrats, les fonctionnaires.

Mais est-il demandé aux élèves d’être eux aussi « laïques » ? Il n’en a jamais été question, pas plus qu’en ce qui concerne les citoyens.

Ils sont invités –et une décision du Conseil d’Etat vient de le confirmer- à conserver à l’Ecole Publique son caractère de creuset de la Nation en ne faisant acte ni de prosélytisme ni d’ostentation.

Les familles les plus convaincues de la nécessité d’une religion ont contourné la difficulté en créant des écoles confessionnelles. C’était une entorse au principe de l’école laïque, même si ces écoles ne recevaient aucune aide publique. En tout cas elles ne devraient pas en recevoir, même si elles remplissent un service public en se substituant à l’Ecole Publique, mais en détournant des enfants du creuset bien réel où doivent se former les citoyens de demain.

On ne peut ignorer d’autre part que l’Ecole Publique française, dérivée de l’école chrétienne à une époque où il n’y avait en France que des Chrétiens ou des Agnostiques en a gardé bien des caractères : le jour de repos est le Dimanche et non le Samedi comme l’ordonne  le quatrième des Dix Commandements révélés à Moïse, si souvent invoqués et tellement ignorés (Exode 20, 8) ou le Vendredi comme le prescrit le Coran ?

 

A l’origine, la nourriture servie à la cantine n’était pas cascher pour les Juifs ni hallel pour les Musulmans, ne parlons pas des jours de fête différents, des prières imposées, des jours ou du mois de jeûne etc. Tout cet ensemble d’exigences qui furent peu à peu tolérées puis admises, est-il moins visible, moins ostentatoire que le foulard ? Je n’ai jamais entendu dire que les élèves souhaitant manger de la viande provenant d’animaux abattus rituellement et cuisinée conformément à la loi religieuse aient été interdits dans un collège ! C’était pourtant aussi visible et plus gênant pour l’intendance des établissements que le port d’un foulard par une ou deux élèves ! Bien souvent il leur fut donné satisfaction.

La difficulté croissait avec les modifications de la population : l’Ecole Publique pouvait facilement être laïque dans la mesure où il lui suffisait  de décrocher le Christ des murs, d’enseigner le catéchisme en dehors des heures d’enseignement, et de faire brièvement mention des réserves faites par les Créationnistes à l’égard de Darwin et sa théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle. L’adaptation à toutes les exigences des religions musulmane et juive poserait bien d’autres difficultés d’intendance.  

Le Bouddhisme arrive en France, verrons-nous bientôt des enseignants et des élèves en toge de bure et sandales ? Il faut y réfléchir. On tolère bien des jeans rapiécés, des chemises ouvertes et des tennis. Je me souviens qu’avant guerre les professeurs du Lycée de Nice, de brillants agrégés à qui on confiait des classes de sixième, portaient en général un veston noir et des pantalons rayés !

Il faudra bien y réfléchir sérieusement, comme aussi aux 35 heures pour les élèves de toutes confessions

 

On remarquera seulement que le foulard représente peu de chose par rapport à toutes les différences et surtout ne concerne qu’un nombre infime de jeunes élèves. N’est-ce pas le fait de le refuser qui exacerbe le problème ?

On va me dire, mais comment faire de la gymnastique avec un foulard et une tunique qui descend jusqu’aux chevilles ? Bien sûr, mais il y a tant d’élèves dispensées de gymnastique sur la présentation d’un certificat médical (désormais non remboursé par la Sécu), qu’un ou deux certificats religieux par établissement ne changeront guère les choses. Autre solution, les cours d’éducation physique ne pourraient-ils pas être donnés pour les jeunes filles séparément, par des enseignantes ?

Enfin, dernière observation, est-il possible d’envisager une solution « à la française » en ignorant l’Europe. Il y a déjà une difficulté avec le préambule de la future constitution : comprendra-t-il une invocation de Dieu, « Deo juvante ! » dont certains ne peuvent se passer et qui en irrite d’autres. C’est une erreur, dans une telle conjoncture, Pascal préconisait de prendre le pari : il n’y a rien à perdre et tout à gagner à demander l’aide de Dieu!

 Je crois qu’au Royaume Uni, les élèves peuvent porter le foulard. En Allemagne, la question s’est posée concernant une enseignante, Mme Fereshta Ludin. Excellente élève, elle portait le foulard sans problème ;  devenue enseignante elle a voulu continuer. Trois fois déboutée elle s’est retrouvée devant la Cour Constitutionnelle Fédérale qui lui a donné raison sous réserve, bien sûr,  de nouvelles lois éventuelles du Land où elle exerce, avec des attendus très libéraux. En Rhénanie du Nord Westphalie et en Basse Saxe des maîtresses enseignent en portant le foulard sans susciter de controverses.

Dans la République de Genève (qui n’appartient pas à l’Union Européenne mais à l’Europe), une institutrice du primaire portant le foulard a été interdite par le Tribunal Fédéral au motif qu’elle est le seul professeur d’une classe de jeunes enfants « impressionnables », mais les élèves portant le foulard ne sont pas inquiétées.

En Turquie, (qui n’appartient pas à l’Europe mais le voudrait bien) le foulard est interdit aux élèves comme aux enseignants et le Président n’invite pas à ses réceptions officielles les épouses des ministres  qui le portent !

Faut-il craindre qu’une autorisation donnée à quelques élèves amène des pressions sur les autres ? L’expérience montre qu’au contraire chaque fois que les femmes ont eu le choix, elles ont été très nombreuses à renoncer au voile pour le foulard et à ce dernier pour la liberté des cheveux « out of bed » !

On pourrait peut-être contourner la difficulté : si Hermès et quelques jeunes stars de la Star Ac’ voulaient lancer la mode du foulard, à la provençale ou encore à la façon de Grace Kelly ou de la Callas (fuyant les paparazzi), et pourquoi pas de  la Bienheureuse Mère Térésa et de ses petites sœurs de la Charité? Si c’est la mode, personne n’a plus rien à dire !